Le Capitaine Volkonogov s’est échappé

Капитан Волконогов бежал Kapitan Volkonogov bejal « Drame historique » russe (2021) de Natalia Merkoulova et Alexeï Tchoupov, avec Yuriy Borisov, Timofey Tribuntsev, Nikita Kukushkin et Aleksandr Yatsenko – 2h05

« Plaine, ma chère plaine, large plaine, ma chère plaine!
Des héros marchent à travers la plaine,
Ah ! Ce sont les héros de l’Armée rouge… »

Plaine, ma plaine (Poljuško-Pole), 1934
Viktor Goussev (poète stalinien)

1938, les Grandes Purges terrorisent l’Union soviétique, menaçant notamment les membres de la police politique eux-mêmes. Suite au suicide de son commandant, le capitaine Volkonogov prend la fuite, emportant avec lui le dossier des 98 dernières exécutions auxquelles il a participé. Lancé dans une cavale qui ne lui laisse aucune chance, traqué par sa hiérarchie, il décide de retrouver les familles de ses victimes dans l’espoir que quelqu’un puisse lui pardonner et lui apporter la rédemption…

Prenant place durant les terribles purges staliniennes, qui conduisirent à plus de 700 000 exécutions entre 1936 et 1938, Le Capitaine Volkonogov s’est échappé s’annonce comme un drame historique tandis que la fuite promise par le titre nous impose un implacable programme, alternant flashbacks tendus, séquences de tortures glaçantes et confrontations douloureuses. Et pourtant, afin de traiter cette sombre page de l’Histoire de l’URSS, les cinéastes Natalia Merkoulova et Alexeï Tchoupov parle eux de parabole fantasmagorique pour une approche qu’ils qualifient même de « rétro-utopiste », une dénomination qui a de quoi interroger et qui prendrait plutôt des allures de dystopie d’outre-tombe… Et pourtant, le film, sans pour autant remettre en cause sa rigueur historique, nous plonge dans une Saint-Pétersbourg intemporelle (qui s’appelait d’ailleurs Leningrad à l’époque), figée dans une lumière blafarde qui laisse surtout éclater le rouge vif des uniformes ou celui plus sombre du sang épongé par de la paille disposée sur un parquet… Aussi, loin de s’en tenir à un récit réaliste et à une mise en scène académique, Merkoulova et Tchoupov n’hésitent pas à se frotter à de purs genres cinématographiques…

« Not Salsa, Not Flamenco… and not Naatu Camarade ! Do you know Poljuško-Pole ?!

Le Capitaine Volkonogov s’est échappé semble ainsi directement puiser dans des références pas franchement historiographiques telles que le Minority Report de Spielberg ou les films de Jean-Pierre Melville et se révèle également comme un film noir, un polar d’action à la tension constante quand il ne flirte pas carrément avec le fantastique. Et c’est au western crépusculaire que l’on pense face à l’affrontement qui se joue entre Volkonogov le fugitif et Golovnia, un flic condamné à la fois par une infection pulmonaire mais aussi par la pression d’une hiérarchie barbare, une opposition absurde dans un système qui ne peut que leur promettre une mort violente. Notre anti-héros, servi par une performance très physique de Yuriy Borisov, acteur croisé dans Compartiment n°6 ou La Fièvre de Petrov, et lancé dans une quête rédemptrice avec l’énergie du désespoir, semble pourtant manquer d’une véritable ferveur. Débarqué d’une foi à une autre, le jeune homme en devient malgré lui un triste héros existentialiste, faisant, par cette volonté robotique, sinon de survivre, de trouver le pardon, surgir quelques vérités au milieu du chaos… Merkoulova et Tchoupov signent quant à eux un film puissant mais jamais complaisant dans sa violence qui parvient à conjuguer l’exigence historique à leurs ambitions mythologiques et qui devrait donc satisfaire aussi bien le cinéphile venu faire leur devoir de mémoire que l’amateur de films de genre habités.

CLÉMENT MARIE


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