
Петровы в гриппе (Petrovy v grippe) Trip fiévreux russe (2021) de Kirill Serebrennikov, avec Semyon Serzin, Chulpan Khamatova, Yuliya Peresild, Yuri Kolokolnikov – 2h26
Pris d’une fièvre virulente, Petrov est embarqué par Igor, bien décidé à soigner son mal par la vodka. Le jeune dessinateur russe se retrouve alors à déambuler dans une Russie apocalyptique, tandis que les souvenirs ressurgissent, brouillant la frontière entre passé et présent, réalité et délire fiévreux…
Metteur en scène prolifique, notamment au théâtre, Kirill Serebrennikov est devenu en quelques années un réalisateur majeur du cinéma russe, notamment grâce à ses deux derniers films particulièrement remarqués, Le Disciple et Leto. Le cinéaste fait son grand retour avec La Fièvre de Petrov, un film à la gestation compliquée, le cinéaste étant depuis 2017 visée par des accusations de détournements de fonds, largement dénoncés comme de pures persécutions politiques, et devant faire face à des assignations à résidence à répétition. Kirill Serebrennikov se retrouve donc actuellement empêché de promouvoir son film, interdit de quitter le territoire russe. En soit, le soutien au cinéaste est déjà une bonne raison d’aller découvrir le film en salle. Ce n’est évidemment pas la seule…
Pas de balise spoiler cette fois… Et oui, je dois bien avouer que je me verrais presque dans l’incapacité de vous spoiler ce film. En effet, n’ayant rien vu des travaux précédents de Serebrennikov et confessant que mes connaissances de la Russie se limitent sûrement un peu trop à Omar Sharif et Julie Christie, à Don Bluth ou à Boney M, j’ai certainement manqué d’un paquet de références pour saisir vraiment ce qui se jouait sous mes yeux. Et pourtant, cela ne m’a empêché de plonger dans le (bad)trip fiévreux de Petrov…

En effet, il est bien difficile de ne pas succomber à ce calvaire, déjà traversé par notre cher Tony Soprano, tant la mise en scène virtuose de Serebrennikov nous embarque dans ce vaste délire visuel où, comme le héros, le spectateur perd complétement pied et même les plus cinéphiles abandonneront vite l’idée de déceler là où commencent et où s’arrêtent les plans séquences vertigineux et à chercher à comprendre comment ceux-ci ont pu être réalisés. Virevoltant des déambulations du héros à des vues subjectives de lui enfant pour une séquence qui se voit revisitée par d’autres points de vue en passant par les saillies meurtrières brutales de Petrova, le tout baigné dans la magnifique lumière de Vladislav Opelyants, La Fièvre de Petrov est un film aussi grisant qu’insaisissable. Certainement aux côtés du Edgar Wright parmi les films techniquement les plus stupéfiants de cette année, ce cauchemar fiévreux rappelle aussi bien les rêves chelou d’Eternal Sunshine of the spotless mind, que le réalisme glaçant des Fils de l’homme ou les expérimentations majestueuses d’Alexander Sokurov et on ne doute pas que nombre de ses tours de magie cinématographiques proviennent d’ingénieux trucages physiques. Le casting n’est pas en reste avec, en suée perpétuelle, un Semyon Serzin qu’on croirait véritablement à l’article de la mort (c’est autre chose que Tom Hardy dans Venom !), un Yuri Kolokolnikov donc le faciès patibulaire nous rappelle le culte Heisenberg ou les crapules incarnées par Joe Pantoliano mais surtout ses actrices, Chulpan Khamatova, donc le physique et le talent n’est pas sans évoquer Carrie Coon, et l’angélique Yuliya Peresild en Fille des neiges en conflit amoureux avec le père Noël…
Par ses chassés-croisés entre présent et passé, le film peut également évoquer les voyages temporels déjà vertigineux du Abattoir 5 de George Roy Hill auxquels on aurait en plus ajouté visions oniriques et fantasmes violents. En tout cas, nul doute que cet étrange et étourdissant périple, qui semble durer aussi bien quatre heures que vingt minutes, constitue une expérience qui vaut largement le détour, La Fièvre de Petrov étant évidemment la seule maladie qu’on vous souhaite en cette fin d’année pour le plus bouillonnant (mais glacial à la fois) des contes de noël…
CLÉMENT MARIE