Yannick

Comédie française (2023) de Quentin Dupieux, avec Raphaël Quenard, Pio Marmaï, Blanche Gardin et Sébastien Chassagne – 1h07

En pleine représentation de la pièce « Le Cocu », un très mauvais boulevard, Yannick se lève et interrompt le spectacle pour reprendre la soirée en main…

Alors qu’il atteint presque le rythme de deux films par an (il en présentera un nouveau, Daaaaaali !, au festival de Venise dans un mois), Quentin Dupieux s’expose de plus en plus au risque de se voir reprocher la facilité de films trop courts fondés sur des concepts trop futiles. Je lui en aurais presque fait le grief sur Fumer fait tousser, sacrifiant ses promesses de super sentai sur un film à sketchs inaboutis. Par sa production rapide, Yannick semble être un film capricieux : un long-métrage d’un peu plus d’1h05 tourné en six jours dans le secret d’un petit théâtre parisien. On apprenait l’existence du film quelques semaines seulement avant sa sortie, ajoutant à cette impression de production expéditive. Et pourtant, Yannick est le film le plus inspiré de son auteur depuis Le Daim.

Avec cette histoire simple mais prometteuse d’un spectateur qui interrompt une pièce de théâtre, l’absurde cher à Dupieux trouve un cadre plus concret dans un théâtre parisien qui rappelle le retournement buñuelien d’Au poste ! et qui le rapproche plus encore de l’influence d’un Blier dans la façon de pousser à l’extrême une situation incongrue, prenant place par ailleurs dans un cadre hyper réaliste. Une fois que l’élément perturbateur est intervenu, tout est fait pour que ça puisse « partir en sucette à n’importe quel moment, cette histoire ». Quand bien même on est dans un film d’1h05, Dupieux s’amuse à jouer avec la durée, que ce soit dans le suspens insoutenable de voir Yannick écrire très lentement sa propre pièce, ou dans les échanges avec certains spectateurs, assez longs pour que s’installent le malaise et les rires nerveux. De plus, dans cette situation de prise d’otages, les rapports des personnages sont continuellement confus, et on ne sait jamais si la connivence du public avec Yannick est sincère ou forcée. L’imprévisibilité de la situation est aussi entretenue par les acteurs, et en premier lieu Raphaël Quenard, dont il est évident que le rôle a été écrit pour lui, pour sa diction si particulière, pour sa personnalité à la fois lunaire et terrien. Montant sur scène avec son flingue à la main, sans jamais vraiment savoir s’il déconne ou pas, on dirait presque un Joker à la Dupieux !

Quand Yannick (Raphaël Quenard) lui dit qu’il se fait chier, Paul Rivière (Pio Marmaï) lui rappelle que ça pourrait être pire, il pourrait être aux Césars !

Le réalisateur a donc repris du poil de la bête avec ce concept qui fonctionne à fond et dans lequel le spectateur peut projeter beaucoup au-delà des ricanements d’usage. Les critiques du film que j’ai pu lire s’en donnent ainsi à cœur joie dans les interprétations. Certaines voient Dupieux comme un satiriste représentant dans « Le Cocu » l’ineptie du cinéma français incapable de satisfaire son public. Possible, même si par d’autres aspects Yannick peut correspondre au confort bourgeois du cinéma français (d’ailleurs, un collègue à moi, qui s’appelle Yannick justement, n’a pas pu s’empêcher de remarquer que les cheveux des spectateurs du film sont nettement plus blancs que ceux du public habituel de Dupieux), et je ne pense pas que Dupieux soit encore un insurgé du petit monde du cinéma français ; on pourrait facilement imaginer que celui qui critiquait vertement Guillaume Canet à l’époque de Rubber se retrouve aujourd’hui à l’engager dans un de ses films. Mais pour en revenir à Yannick, cette émanation physique d’un troll internet ou pire, d’un rédacteur du Super Marie Blog, son intervention radicale jette une sorte d’inquiétude sur l’œuvre : les cauchemars de Quentin Dupieux sont-ils habités de Yannick interrompant ses films de merde pour les tourner à sa place ? (surtout qu’un de mes collègues, qui ne s’appelle pas Yannick celui-là, m’avait dit que Dupieux était susceptible concernant la critique, mais comme c’est sous le prétexte qu’il avait répondu à une vidéo de Durendal, cette information est à relativiser) De la même façon que Le Daim glissait de manière inattendue vers un autoportrait de l’auteur, Yannick semble habitée par une envie de réaffirmation. Avec sa production rapide, Dupieux a voulu revenir à l’énergie et la spontanéité de ses débuts. Aux critiques de facilité, il y répond en laissant apparaître la précision de son écriture, notamment quand les acteurs finissent par jouer le dialogue de Yannick comme c’est écrit, c’est-à-dire avec toutes les erreurs qui émaillent le texte. Et au bout de ce film imprévisible, il y a une émotion, inédite chez le réalisateur, qu’on n’avait vraiment pas vu venir !

BASTIEN MARIE (qui vous remercie de ne pas avoir interrompu l’écriture de cet article)

Autres films de Quentin Dupieux sur le Super Marie Blog : Au poste ! (2018) ; Le Daim (2019) ; Mandibules (2020)


Laisser un commentaire