Sabotage

How to Blow Up a Pipeline Thriller américain (2022) de Daniel Goldhaber, avec Ariela Barer, Kristine Forseth, Lukas Gage, Forrest Goodluck, Sasha Lane, Jayme Lawson, Marcus Scribner et Jake Weary – 1h44

Un groupe de jeunes militants environnementaux s’organise pour commettre un acte de sabotage de grande envergure : faire exploser un pipeline au cœur du Texas…

Cet été, il n’y a pas que Christopher Nolan qui aura fait péter une bombe dans le Sud des Etats-Unis, il y a aussi Sabotage, petit film indépendant ricain bien troussé. Il est inspiré du livre qui lui donne son titre original, How to Blow Up a Pipeline, un essai d’Andreas Malm qui pense que l’activisme écologique ne peut plus se contenter de la non-violence et voit la destruction de propriété comme un nouveau champ d’action. Un ouvrage qui, bien qu’il n’explique pas comment faire péter un oléoduc, a eu droit à sa controverse en France, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin l’ayant mis à l’index durant sa tentative de dissolution du groupes d’activistes écologiques Soulèvement de la Terre. Autrement qu’une stricte adaptation, Sabotage est une mise en pratique par la fiction de la thèse de Malm… qui finit par ressembler à l’adaptation du roman Le Gang de la clef à molette (1975) qui raconte les coups écolos d’un gang aux membres disparates. D’après son réalisateur Daniel Goldhaber, qui n’avait jusque là signé que le thriller Netflix Cam (2018), Sabotage s’est fait très vite, dix-huit mois seulement séparant son écriture de sa première projection au festival de Toronto.

Un sentiment d’urgence qui transparaît dans le film fini, ne serait-ce que par son sujet traité non pas dans un film théorique ou didactique mais dans un authentique thriller, mené avec brio. Et quand je parlais de mise en pratique des écrits d’Andreas Malm, c’est le cas dès son ouverture montrant Xochitl (Ariela Barer, également coscénariste du film) qui crève les pneus d’un SUV, acte inspiré du groupe Tyre Extinguishers, créé à la suite de la publication du livre. How to Blow Up a Pipeline nous prend donc au milieu d’un mouvement déjà engagé et quand le film commence, ses personnages sont déjà en action sur les premières étapes de leur plan. Des flashbacks, chacun focalisé sur un membre du groupe, interviendront régulièrement tout au long du métrage pour expliciter les raisons de l’engagement de chaque personnage et des préparatifs de l’opération en amont. Quand je parlais de Nolan, le film a quelque chose de lui dans cette double évolution du récit (qui manie aussi l’art du cliffhanger) ou dans l’utilisation de la musique comme un compte à rebours omniprésent.

Michael (Forrest Goodluck) et Shawn (Marcus Scribner) se font leur remake de Breaking Bad.

Son discours politique, How to Blow Up a Pipeline le garde dans les marges de son fonctionnement de thriller, assez présent pour ne pas sembler négligé et assez discret pour que le spectateur ne prenne pas un cours magistral. Ainsi par exemple du cadre moral de leur action, les personnages n’en débattent qu’une fois, dans la nuit de relâche qui précède le jour J. De même, dans les flashbacks, les personnages sont juste assez caractérisés pour qu’on constate leurs origines et points de vue très différents, impliquant l’idée que l’urgence climatique est le seul sujet sur lequel ils s’accordent, et la dimension discursive du film s’inscrit dans des dialogues saisis dans l’action. Enfin, Goldhaber et ses scénaristes se gardent de spéculer sur les retentissements politiques, sociaux et médiatiques du sabotage (un reproche qui semble également avoir été fait au livre de Malm) pour mieux laisser le spectateur à ses propres conclusions.

En plus de son sens du montage et de son habileté scénaristique, How to Blow Up a Pipeline a été tourné en 16mm, un parti pris qui me semble fort judicieux à plus d’un titre. Le gros grain du 16mm, pellicule moins onéreuse que le 35, donne au film un aspect autodidacte qui correspond aux actions des protagonistes. Le choix de l’argentique se distingue également de l’image numérique d’un tuto en ligne qu’on aurait pu obtenir avec des appareils connectés, ce qui induit la clandestinité de l’opération, à l’abri des regards gouvernementaux. Enfin, de la même manière que l’ouvrage plaçait l’activisme écologique dans l’héritage d’autres mouvement sociaux d’envergure, le choix de la pellicule place humblement le film dans une histoire du cinéma. Si j’ai pu voir dans diverses critiques le film rapproché du Traffic (2000) de Steven Soderbergh (sans aucun doute pour les teintes chaudes de la photographie du Sud des Etats-Unis), il m’a pour ma part fait penser aux Sidney Lumet qui scrutaient avec lucidité et empathie l’activisme américain et son héritage dans Daniel (1983, récemment ressorti au cinéma) ou A bout de course (Running on Empty, 1988). De bien glorieux aînés pour ce petit film qui, du reste, ne nous apprend pas plus que le bouquin à faire des explosifs…

BASTIEN MARIE


Laisser un commentaire