
Theatre of Blood Film d’horreur shakespearien britannique (1973) de Douglas Hickox, avec Vincent Price, Diana Rigg, Ian Hendry, Harry Andrews, Coral Browne, Robert Coote, Jack Hawkins, Michael Hordern, Arthur Lowe, Robert Morley, Dennis Price et Milo O’Shea – 1h44
Acteur de théâtre passé pour mort, Edward Lionheart hourdit une vengeance contre une assemblée de critiques qui lui avait refusé une récompense et qu’il commence à éliminer un par un dans une série de meurtres inspirés des pièces de Shakespeare…
Dans les années 1970, l’âge d’or du cinéma d’horreur britannique entame son déclin, mais il reste dans ce crépuscule rouge sang quelques pépites à dénicher. Tel ce Théâtre de sang, petite production indépendante tournée à l’ombre des célèbres studios Hammer et Amicus. D’abord nommé Much Ado About Murder, détournement morbide du titre original de la pièce Beaucoup de bruit pour rien, ce scénario de vengeances inspirées de Shakespeare est commandé à Anthony Greville-Bell par le duo de producteurs Stanley Mann et John Kohn, ce dernier étant le gendre de Sam Jaffe, ancien agent de Vincent Price. Et voilà comment le scénario de Théâtre de sang se retrouve sur les genoux du célèbre acteur qui, croyez-le ou non, n’avait jamais joué de Shakespeare de toute sa carrière. C’est pourquoi, tout juste sorti du tournage du Retour de l’abominable docteur Phibes (1972), il accepte immédiatement de venir à Londres tourner ce film dont il apprécie également l’humour. Il est aussi enchanté d’y donner la réplique à de prestigieux et prolifiques acteurs anglais, venus incarner la liste de ses victimes et qui, à eux tous combinés, ont dû jouer l’intégralité du répertoire shakespearien sur scène. Quant au rôle de sa fille, il est confié à Diana Rigg, elle-même rompue aux pièces du dramaturge en tant que membre de la Royal Shakespeare Company, et qui s’entendit à merveille avec Price dès leur premier jour de tournage. Elle se fit même entremetteuse en le présentant à Coral Browne, sa seule victime féminine dans le film et qui deviendra la troisième épouse de Price.
Ce dernier eût été tout à fait à la maison si Théâtre de sang avait été réalisé par Robert Fuest, l’auteur des Dr Phibes, qui décline le projet à la faveur de Douglas Hickox, solide artisan britannique qui se lance ainsi dans l’horreur entre les deux polars qui sont aussi ses films les plus célèbres, La Cible hurlante (1972) avec Oliver Reed et Brannigan (1975) avec John Wayne. Malheureusement, cette parenthèse sanglante du réalisateur ne connaîtra pas le succès escompté. Déjà, il ne fallait pas compter sur les critiques, trop susceptibles pour tolérer de se laisser massacrer dans ce vulgaire film d’horreur. Quant au public, peut-être ne goûte-t-il pas à l’humour noir du film, ou peut-être ne se souvenait-il plus de telles saillies grand-guignolesques dans le répertoire shakespearien. Toujours est-il que Théâtre de sang passe inaperçu à sa sortie et doit attendre la vidéo et les rediffusions télévisées pour s’octroyer un parfum de film culte. Au point que Chris Columbus annonce, dès les années 1990, sa volonté d’en faire un remake (et dieu merci sa volonté n’a à ce jour pas été faite) et le film connaît même une adaptation théâtrale à Londres en 2005, le rôle de Diana Rigg y étant notamment repris par sa propre fille Rachael Stirling.

C’est un juste retour de notoriété. Ne serait-ce que parce que Théâtre de sang est le film préféré, dans leurs carrières respectives, de Vincent Price et de Diana Rigg. Et qui n’aime pas assez Price et Rigg pour leur refuser cette faveur ? De toute façon, l’enthousiasme des acteurs est indéniable dans le film, renforcé même par la nature du sujet (la vengeance d’un acteur sur les critiques qui l’ont mésestimé), au cœur d’un généreux spectacle Grand-Guignol qui ramène le théâtre de Shakespeare à ses vertus populaires. Le film commence plutôt sérieusement avec ses deux premiers meurtres glauques et brutaux : le premier critique est passé à tabac par une bande de sans-abris alcooliques, exploités par Edward Lionheart, le deuxième est transpercé d’une lance puis traîné par un cheval au galop lors des obsèques du premier ! C’est alors qu’on se rappelle que la violence des pièces de Shakespeare n’a d’égale que la beauté de ses tirades, récitées avec délice par Price en exergue de ses méfaits, et qu’on se rend compte que les critiques à massacrer sont assez nombreux. Mais au fil de cette série de mises à mort imaginatives, Théâtre de sang assume progressivement son humour jusqu’à pousser assez loin le délire, Vincent Price se présentant dans des accoutrements toujours plus inattendus, de la coupe afro d’un coiffeur funky à la toque de chef d’une parodie d’émission culinaire ! L’acteur se fait largement plaisir – c’est Price lui-même qui impose une séquence d’escrime bondissante, conjurant ainsi un autre regret d’avoir appris cette discipline dans sa jeunesse sans avoir eu l’occasion de l’exploiter sur scène ou à l’écran – mais non sans s’être assuré la complicité du spectateur, aisément acquise vu les vices que se traînent les critiques ciblés. Et vu que c’est Vincent Price, alors au faîte de sa réputation d’acteur du macabre qu’il regrette autant qu’il l’honore, et qui se livre ici à un superbe exercice d’humilité, d’autodérision et de grandiloquence tout entier dédié à son public. Et sa première spectatrice, Diana Rigg, en est charmée tout autant que nous.
BASTIEN MARIE