Evolution

Drame allemand, hongrois (2021) de Kornel Mundruczo, avec Lili Monori, Annamaria Lang et Goya Rego – 1h37

Trois générations d’une famille sont marquées par un traumatisme de l’Histoire. La douleur d’Eva, enfant miraculée des camps, se transmet à sa fille Lena, puis à son petit-fils, Jonas…

Attention, cet article détaille le film dans ses moindres détails ! Si vous voulez préserver la fraîcheur de la découverte du film, nous vous recommandons donc de revenir à l’article plus tard (mais pensez bien à y revenir !). Merci de votre compréhension.

Après la parenthèse américaine Pieces of a Woman réduite au petit écran de Netflix, le cinéaste hongrois Kornel Mundruczo revient en Europe et au cinéma avec Evolution, une nouvelle fois sous le patronage de Martin Scorsese, crédité producteur exécutif et cité en exergue sur l’affiche, juste au-dessus du label du festival de Cannes : « Une confrontation à l’Histoire. Exaltant et libérateur. » Il s’agit en effet d’une évocation de la Shoah et surtout des traces qu’elle a laissées au fil des générations, racontée ici à travers trois parties distinctes. Elles sont toutes tournées en plan-séquence par Mundruczo et écrites par son épouse Katia Weber qui y met des éléments autobiographiques à travers le personnage de Lena. Un récit transgénérationnel, de la libération des camps au Berlin contemporain, qui, comme toujours avec Mundruczo, ne laisse pas indifférent.

A la vue du sujet, on se dit que le réalisateur de White God a définitivement délaissé le fantastique ; encore que celui-ci n’est pas bien loin avec la première partie, évocation cauchemardesque des camps d’extermination. On suit trois personnages nettoyant une chambre à gaz dans une séquence partagée entre la confusion (le souvenir d’une scène similaire dans Le Fils de Saul nous laisse interroger le rôle de ces personnages : sont-ils des libérateurs ou des membres du Sonderkommando ?) et un symbolisme tendant vers l’art théâtral (que Mundruzco et Weber pratiquent aussi), les longues mèches de cheveux que les hommes extirpent des fissures des murs représentant l’irreprésentable. Puis les pleurs d’un bébé se font entendre et les hommes sauvent la petite Eva, incarnant la survie du peuple juif et la nécessité d’une mémoire en puissance, encore fragile, de l’événement. La caméra suit le bébé emporté par les libérateurs, puis, dans un mouvement de caméra vertigineux, elle nous montre l’étendue de l’horreur avec un plan d’ensemble sur l’immense camp d’Auschwitz. Dans la partie suivante, nous sommes à Budapest où Eva, devenue grand-mère, raconte à sa fille Lena, venue chercher des documents prouvant ses origines juives pour faire officiellement reconnaître son statut de victime, l’horreur jusque dans ses aspects les plus incroyables (les naissances dans les camps, les expériences de Mengele). Au mutisme de la première partie succède le flot de dialogues de la deuxième, représentant autant le besoin d’exprimer le traumatisme pour les survivants que la difficulté à y croire pour les autres, recherchant des preuves (les actes de naissance) dont l’authenticité reste à être vérifiée. Le déversement ne sera pas qu’oral : Eva, incontinente, entache le parquet de matière fécale, comme une dernière purge de l’horreur, puis les canalisations lâchent à leur tour, l’eau inondant l’appartement, nettoyant ce sale souvenir et menaçant de détruire les preuves.

Jonas (Goya Rego) et Yasmin (Padmé Hamdemir), tournés vers un avenir plus serein que ce que le passé leur avait réservé.

Enfin, la troisième partie, moins éprouvante, nous fait coller aux basques de Jonas, le petit-fils qui, pour s’émanciper de ce lourd héritage et vivre sereinement sa judaïté, serait tenté de la faire oublier. Ce qui semble impossible tant on le ramène constamment à cette identité, entre sa professeure protectrice, sa mère suspicieuse et ses camarades agressifs. Dans une contemporanéité dont Mundruzco montre les signes d’un fascisme sur le retour (l’épisode s’ouvre sur l’incendie d’une école pouvant faire écho à celui du Reichstag), Jonas préfère le chemin de l’œcuménisme avec sa copine musulmane voulant elle aussi prendre ses distances avec le communautarisme : ensemble, ils se créent leur propre rituel (à l’occasion de l’enterrement d’un hamster) et s’éclipsent du cortège des autres élèves pour trouver un autre chemin où ils peuvent se bécoter tranquille. Au fil de ces épisodes semblant de plus en plus longs, comme pour signifier la décroissance diffuse de l’onde de choc initiale, Kornel Mundruczo retrouve ce qui est devenu, depuis La Lune de Jupiter, l’un de ses traits d’auteur : le plan-séquence. Il se justifie ici par la théâtralité recherchée dans les deux premières parties et symbolise la continuité d’une mémoire transgénérationnelle, uniquement segmenté par les cartons titrant les épisodes et marquant l’ellipse. De même que le format 1.33, celui des origines du cinématographe, induit la persistance d’un passé qui continue de structurer le présent. Des procédés qui ne sont pas la marque d’un formalisme stérile mais bien de la radicalité maîtrisée – et un peu abrupte, il faut bien le dire – de Mundruczo dont l’Evolution est une nouvelle réussite.

BASTIEN MARIE

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