Le Règne animal

Film fantastique français, belge (2023) de Thomas Cailley, avec Romain Duris, Paul Kircher, Adèle Exarchopoulos, Tom Mercier et Billie Blain – 2h10

Depuis deux ans, le monde fait face à une vague de mutations qui transforment peu à peu certains humains en animaux. Un phénomène qui touche Lana, l’épouse de François et mère d’Emile, 16 ans, qui va bientôt être transférée dans un centre spécialisé dans le Sud de la France. François et Emile la suivent mais un accident survient lors du transfert, qui laisse échapper nombre de mutants dans la région inquiète…

Il serait grand temps que le genre en France cesse d’être une question, et Le Règne animal pourrait bien être la réponse. En tous cas, il est la solution au problème Acide sorti deux semaines plus tôt. Mais ne nous emballons pas, comme Thomas Cailley, lui, ne s’est pas emballé pour sortir son second long-métrage neuf ans après le triomphe des Combattants. On avait promis à Cailley que son premier film, chaudement accueilli à la Quinzaine des cinéastes, ferait 100 000 entrées, il en fit sept fois plus. Mais le réalisateur prend son temps, il se fait la main sur la série Ad Vitam pour Arte puis, répondant à un appel de son ancienne école la Fémis, il accepte de faire le juré pour les élèves de la section scénario. C’est là qu’il tombe sur le script de Pauline Munier parlant de mutations humain/animal et qu’il va avec elle faire muter en un projet de long-métrage qui, au sortir du Covid, obtient un budget d’une quinzaine de millions d’euros. Le Règne animal ouvre ensuite la section Un Certain Regard à Cannes où il se taille une excellente réputation critique avant sa sortie en salles où il décrochera, j’espère, le succès qu’il mérite.

A l’époque des Combattants, je n’étais pas beaucoup plus vieux que ses personnages et j’avais eu le sentiment que le film avait su saisir, sans l’asséner dans un propos prémâché, les incertitudes d’une jeunesse dont j’estimais encore faire partie, au cours d’un film qui ne cessait d’étonner jusqu’à son créateur (Cailley avait expliqué que dès le scénario, le film s’échappait de l’idée qu’il s’en faisait) et restait ouvert à l’inattendu. Toutes ces qualités se retrouvent, multipliées par l’envergure du projet, dans la confirmation du Règne animal, film fantastique ample, généreux et tenu dont on ne devine à aucun moment les difficultés qu’a dû affronter la production – comme une interruption de tournage de plusieurs mois à cause des incendies qui ont touché les décors du film. Comme Les Combattants, Le Règne animal tente de répondre à un climat, à un air du temps. Au terme de l’impressionnante séquence d’ouverture, où les réactions désabusées au surgissement d’un homme-oiseau indiquent que le phénomène des mutations est déjà bien assimilée dans la réalité quotidienne, François (Romain Duris, fantastique lui aussi) s’accorde avec un autre usager sur un amer « quelle époque ». Avec un art confirmé de narrateur, Cailley nous parle d’acceptation et d’adaptation à un monde qui ne nous attend pas pour se transformer.

Julia (Adèle Exarchopoulos) et François (Romain Duris) stupéfaits par la vision d’une bêbête un peu plus grosse qu’une punaise de lit.

L’hybridation est au cœur du film jusque dans sa structure arborescente, divagante, résolu à ne pas choisir entre conte fantastique, légère dystopie ou romance adolescente. A la question du genre, Le Règne animal répond avec des genres qu’il mêle joyeusement sans les délimiter dans un récit qui renoue avec la spontanéité maîtrisée des Combattants (je ne vous dévoilerai pas la séquence finale, mais la façon dont elle fait écho à l’ouverture y est pour beaucoup dans son émotion dévastatrice). Les nobles influences – Spielberg, Cronenberg, Miyazaki, et puis du Manimal aussi – sont logées à la même enseigne d’un subtil syncrétisme, et se montrent sans être appuyées car invoquées par les exigences du récit. Aussi à l’aise dans l’écriture (les dialogues sont au cordeau), dans la direction d’acteurs (content de ne pas m’être tapé du Honoré pour voir un peu du talent de Paul Kircher) que dans la mise en scène (la scène du supermarché ou des hautes herbes sont de beaux moments de bravoure), Thomas Cailley s’est surtout bien démerdé pour donner vie à son généreux bestiaire. Sollicitant d’abord des dessinateurs de BD pour créer des designs qu’il refile ensuite à des illustrateurs plus spécialisés qui peaufinent les détails biologiques, Cailley a ensuite rassemblé tous ses chefs de poste (photo, décors, effets spéciaux) pour définir collectivement les nécessités d’effets spéciaux physiques ou numériques sur chaque plan. Les transformations passent aussi par un travail sonore fascinant et les acteurs ne sont pas en reste (sauf la pauvre Adèle Exarchopoulos, déçue de n’avoir jouée qu’une humaine normale) : j’espère que Tom Mercier, l’acteur de l’homme-oiseau, aura un bonus consacré dans l’édition vidéo. Pour y aller de nos propres superlatifs de petits critiques, Le Règne animal, c’est foisonnant, c’est généreux, c’est drôle, c’est émouvant, alors faisons en un succès pour qu’une fois pour toute nous n’ayons plus à faire genre.

BASTIEN MARIE


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