Le Livre des solutions

Comédie bipolaire française (2023) de Michel Gondry, avec Pierre Niney, Blanche Gardin, Françoise Lebrun, Frankie Wallach, Camille Rutherford, Mourad Boudaoud et Vincent Elbaz – 1h42

En conflit avec ses producteurs qui veulent arrêter le tournage, le réalisateur Marc Becker s’empare de son film et, avec sa monteuse et sa régisseuse, s’enfuit dans les Cévennes chez sa tante Denise. Ayant du mal à achever son travail, il se lance dans la rédaction du livre des solutions, censé résoudre ses problèmes avant qu’ils ne surviennent…

Le Livre des solutions m’a envoyé deux signaux contradictoires. D’un côté, sa présentation à la Quinzaine des cinéastes à Cannes a été triomphale et marquée par le plaisir de retrouver Michel Gondry au cinéma après huit ans d’absence et le discret Microbe & Gasoil (2015). De l’autre, au cinéma où je bosse, à la première séance du film, la moitié de la salle est sortie avant la fin. Comme je ne verrais le film que le lendemain, je me suis dit à ce moment-là, face à cette bipolarité des réactions, qu’il fallait être un fan de Gondry pour apprécier Le Livre des solutions. Qu’il fallait être au fait de l’aspect autobiographique du projet, exorcisant l’expérience désastreuse du réalisateur sur la production de L’Ecume des jours (2013) à la suite de laquelle il fut diagnostiqué d’un trouble bipolaire. A ce titre, je me sens de devoir préciser que je n’ai pas vu L’Epine dans le cœur (2009) qui doit offrir quelques clés car c’est un documentaire consacré à la tante merveilleusement interprétée ici par François Lebrun. Moi-même pris dans des sentiments contradictoires – j’avais envie de voir un film malgré la présence de Pierre Niney – j’allai donc voir Le Livre des solutions le lendemain et compris le rejet du public saint-lois de la veille.

En effet, l’unanimité critique du film, la bande-annonce de The Jokers tendant à vendre un feel-good movie et plus généralement l’emphase portée sur le côté bricoleur et inventif du cinéma de Gondry masquant sa mélancolie profonde, jusque dans ses films les plus drôles et lumineux comme Be Kind Rewind (2008), reflètent une image trompeuse du Livre des solutions. C’est bien une comédie drolatique, un éloge à la création autodidacte (la séquence où Marc dirige l’orchestre est fabuleuse), Pierre Niney y est tolérable et Françoise Lebrun impitoyable de douceur, mais Le Livre des solutions n’est pas un long film tranquille pour autant. L’élément d’importance que la promo escamotait est la bipolarité de Gondry ; bien qu’elle n’est pas expressément nommée dans le film, elle est constitutive de son fonctionnement chaotique, la structure du métrage partant dans tous les sens comme son protagoniste cherchant tous les prétextes pour ne pas finir son film. Je comprends que Gondry n’ait pas voulu que son trouble prenne toute la place et transforme Le Livre des solutions en film à sujet sur la bipolarité. Mais je pense que ces spectateurs ayant quitté la salle auraient aimé s’attendre à ce que le film bouscule leur perception.

Marc Becker (Pierre Niney) s’initie à la direction d’orchestre. Mais ça devrait aller, il a bossé avec les Daft Punk j’vous rappelle.

Pour ma part, j’ai beaucoup aimé le film et je n’ai aucun problème à suivre un protagoniste parfaitement odieux avec son entourage, en particulier quand il est joué comme ici par un acteur que je n’aime pas (ça faisait exactement la même chose avec Louis Garrel dans Le Redoutable). Mais moi qui m’attendais à une comédie exaltante sur le triomphe de l’art salvateur comme l’indiquerait son titre (et qu’il est parfois, comme quand Marc fait brièvement de la politique et qu’on songe aux bienfaits qu’aurait un livre des solutions dans ce domaine), je me retrouve face à un film qui m’inquiète autant qu’il m’amuse et qui, de l’art, traite de ses contraintes, avec cette industrie cinématographique qui persécute ses créateurs indispensables (preuve qu’il est un vrai cinéaste car dans la vraie vie véritable, sur le plateau de Clique, Gondry était mal à l’aise pour parler de la grève des scénaristes). Un collègue – encore lui – m’a dit que le film lui avait rappelé Les Intranquilles (2021) de Joachim Lafosse qui, lui, traitait sans détour de la bipolarité ; de mon côté, je verrais plutôt le film comme un filleul de Terry Gilliam dans sa façon de nous faire percevoir le monde à travers un point de vue troublé, de première main, sans nous le formuler au préalable. Si vous n’aviez pas encore vu le film, vous voilà donc prévenus, et même si Le Livre des solutions démange comme une punaise de lit pour l’esprit, on vous le recommande vivement.

BASTIEN MARIE


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