Le Dernier Voyage du Demeter

The Last Voyage of the Demeter Film d’horreur américain, britannique, allemand, italien, maltais (2023) d’André Ovredal, avec Corey Hawkins, Aisling Franciosi, Liam Cunningham, David Dastmalchian et Javier Botet – 1h58

6 juillet 1897. En partance de Roumanie pour Londres, le navire commercial Demeter prend dans ses cales plusieurs caisses marquées d’un sceau de dragon. Au cours du voyage, après une série de phénomènes étranges, les membres d’équipage sentent une présence roder nuit après nuit…

Le voyage du Demeter au cinéma aura été houleux. L’idée de faire un film de l’ellipse du roman de Bram Stocker de la Transylvanie à Londres germe dans l’esprit de l’aspirant scénariste Bragi F. Schut (Escape Game 1 & 2) alors qu’il travaille dans une boutique de modélisme qui reçoit une maquette du navire du Dracula de Francis Ford Coppola. S’ensuit un development hell de vingt ans chez Universal, où le script passe entre les mains de toute la clique de réalisateurs de films d’horreur des années 2000 (David 30 jours de nuit Slade, Marcus Massacre à la tronçonneuse Nispel, Neil The Descent Marshall, Robert Flight Plan Schwentke), où le comte aurait eu une apparence humaine qui lui aurait conféré les traits de Jude Law ou Viggo Mortensen, et sûr qu’il a été question que le projet trouve sa place dans le mort-né Dark Universe. Comme tout projet d’horreur gothique qui traîne à Hollywood, il est forcément tombé sur les genoux de Guillermo Del Toro qui recommande au studio le nom d’André Ovredal dont il venait de produire Scary Stories. Il est donc confié au réalisateur norvégien qui réécrit une énième fois le script et tourne ses intérieurs au studio Babelsberg en Allemagne et le pont supérieur du Demeter à Malte. Et voilà qu’au bout de vingt ans de développement, Le Dernier Voyage du Demeter se fait couper l’herbe sous le pied par le deuxième épisode de la série Dracula de Mark Gatiss et Steven Moffat et devient la seconde adaptation périphérique du roman de Bram Stoker cette année après le médiocre Renfield de Chris McKay.

André Ovredal embarque à bord du Demeter, mais va-t-il s’en sortir ?

Alors que le film s’échoue sur les récifs du box-office, les potes d’André Ovredal viennent à sa rescousse en déclarant tout le bien qu’ils pensent du Dernier Voyage du Demeter, de Guillermo Del Toro qui le trouve « somptueux et sauvage » à Stephen King qui l’a rapproché « des meilleurs films de la Hammer des années 60 et 70 ». L’allusion au studio britannique n’est pas vaine car le film s’illustre effectivement par son classicisme assumé et approprié et par le soin apporté à sa direction artistique, rappelant que la peur est autant question d’atmosphère que de sursauts. Tel le Venture du King Kong de Peter Jackson, le Demeter est un navire qui a du vécu, du caractère, dont on contemple l’usure du moindre lieu, de la cabine du capitaine aux imposantes cales. Le film nous laisse le temps d’y prendre nos marques, d’y faire connaissance avec son équipage (qui perd en visages connus ce qu’il gagne en incarnation) et déjà de remarquer les premiers signes d’étrangeté comme l’absence de rats. La star Dracula ménage lui aussi ses apparitions, surtout qu’Ovredal a la bonne idée d’en faire une créature encore bestiale et famélique, se rationnant elle aussi pour le long voyage, et confie le rôle à Javier Botet, le creature actor de Rec et Mama. Tout se met donc en place pour ce qu’Ovredal conçoit à juste titre comme un Alien au XIXème siècle.

Sauf que Le Dernier Voyage du Demeter se prend les pieds dans les cordages de ses nobles intentions. A mesure que le film avance, son concept tourne à la fausse bonne idée : pas besoin d’avoir lu Bram Stoker pour se douter de l’issue funeste du voyage et le scénario ne prend pas vraiment en compte cette fatalité, en plus de se mesurer à l’angoisse difficilement surpassable de l’imagination du lecteur comblant les abysses de l’ellipse. De plus, Ovredal veut instaurer une terreur davantage psychologique que graphique qui nécessite un temps de pose qui peut sembler un peu long. Enfin, le réalisateur et son chef-opérateur Tom Stern, ancien collaborateur de Clint Eastwood, optent pour un bien étrange parti-pris esthétique de filmer fréquemment les acteurs en gros plan avec une longue focale, ce qui rend flou l’arrière-plan. J’ignore s’il s’agit d’un cache-misère (rappelons que le film n’a coûté que 45 millions de dollars, ce qui ne devait pas être tout confort) ou d’une volonté de traduire visuellement des enjeux concentrés sur ses personnages au bord de la démence, mais ça a tendance à niquer la production value pourtant capitale du projet. On finit par ne plus s’étonner de voir le film peiner à trouver son public et par se dire que le projet aurait eu davantage sa place il y a vingt ans, quand une production hollywoodienne pouvait encore se permettre de se montrer classique. Pour autant, on recommandera tout de même le film à ceux qui sont tentés par le voyage, car Ovredal reste un réalisateur consciencieux dans une horreur hollywoodienne autrement aseptisée, et pas sûr qu’on retrouve de sitôt une telle aventure horrifique sur grand écran.

Le médecin de bord Clemens (Corey Hawkins) inspecte la cargaison : « Non, un dragon, ça n’indique aucun risque sanitaire, donc on peut y aller ! »

Et si vous me permettez une conclusion plus personnelle et spoilante, donc réservée aux lecteurs qui auront déjà vu le film, ce qui m’a toujours semblé faire la force de l’épisode du Demeter dans les adaptations cinématographiques de Dracula, c’est qu’au terme de ce voyage dont on a seulement imaginé les événements, il y a un bateau fantôme accostant doucement, vidé de ses occupants, comme mû par une force maléfique invisible (« Le navire de la mort avait un nouveau capitaine » pour citer Murnau). Alors que dans Le Dernier Voyage du Demeter, le navire échoue ordinairement sur les récifs d’Angleterre, ne laissant aux futurs lecteurs du Dailygraph que le souvenir d’un naufrage parmi d’autres et non une histoire à dormir debout comme c’est le cas dans le roman de Bram Stoker. C’est pourquoi je propose ce que, selon moi, la fin du film aurait dû être. Déjà, il n’y aurait certainement pas eu de survivants ; si vous venez voir un film d’horreur, vous devez vous attendre à ce que tout le monde meurt. Donc j’aurais fait en sorte que, dans la dernière nuit de son périple, le Demeter essuie une terrible tempête au cœur de laquelle Dracula abat sa dernière victime, Clemens, de manière particulièrement tragique et violente, au faîte de l’horreur qui aura précédé. Repu et ayant ainsi repris quasiment forme humaine après cet ultime forfait, Dracula serait tranquillement retourné dans sa caisse tandis que la houle, la pluie et le vent aurait lavé le pont des traces de sang. Aux premières lueurs du jour, la tempête aurait laissé place à une mer d’huile et les rayons du soleil auraient balayé un Demeter immaculé, ne laissant apparaître aucune trace de l’horreur absolue qui s’y est déroulée. On aurait pu ensuite voir les gars du port recevoir le navire et embarquer à son bord, leur incrédulité n’ayant d’égale que l’effroi du spectateur tandis qu’il voit débarquer la maudite cargaison. Et maintenant, je n’ai plus qu’à convaincre Universal de me faire un chèque…

BASTIEN MARIE

Autres films d’André Ovredal sur le Super Marie Blog : The Jane Doe Identity (2016) ; Scary Stories (2019)


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