
Film d’action français (1975) d’Henri Verneuil, avec Jean-Paul Belmondo, Charles Denner, Adalberto Maria Merli, Jean Martin, Catherine Morin, Lea Massari et Giovanni Cianfriglia – 2h05.
Le tueur Minos terrorise la capitale en assassinant des femmes seules chez elles. Le commissaire Letellier est mis sur l’enquête mais celui-ci reste davantage préoccupé par la traque du gangster Marcucci, responsable d’un braquage meurtrier. L’inarrêtable flic va devoir jongler entre ces deux affaires, ne reculant devant aucun danger pour arriver à ses fins et Minos se révèlera un adversaire de taille.
La nuit, des tours, un battement de cœur, une femme seule dans la pénombre de son appartement, un téléphone qui sonne puis les noms s’affichent à l’écran sur la musique d’Ennio Morricone… Dès les premières images, c’est bien toute l’ambition de Verneuil qui s’impose à nous : Peur sur la ville sera le polar urbain français ultime ! Dès son introduction toute en tension, il nous présente Minos, son emblématique maniaque, d’abord par sa voix glaçante, harcelant sa proie au téléphone, puis, plus tard, arrivant sur sa moto, avec ses gants et son œil de verre, venant signer l’étrangeté d’un visage déjà perverti par un rictus inquiétant et permettant au passage une vue subjective que n’auraient pas reniée De Palma ou Argento. Avec cette première scène, inspirée par Françoise Fabian, qui dû faire face à un sinistre harceleur téléphonique, et tout droit sorti du cinéma criminel le plus baroque, Verneuil, en faisant finalement succomber sa victime à sa propre paranoïa, instaure chez le spectateur la même peur que celle qui s’abattra sur la ville.

Fasciné par les Etats-Unis, le cinéaste, qui abordera de façon détournée l’assassinat de Kennedy quelques années plus tard dans I… comme Icare, se base ici sur une autre célèbre affaire qui défraya la chronique criminelle américaine : le tueur du Zodiac. Ainsi, son Minos, œuvrant également sous pseudo grec, joue lui-aussi avec la police et la presse via des courriers aux énigmatiques références culturelles ne manquant pas de plonger la population dans la psychose. Peur sur la ville, en opposant à son serial-killer un fier bras armé de la justice, pourrait même être vu comme un remake ou du moins une adaptation française de L’inspecteur Harry, dont le Scorpion faisait déjà écho au célèbre tueur anonyme. Aussi, le commissaire Letellier arbore, avec son fameux holster, le même look que Dave Toschi, le véritable flic en charge de l’affaire du Zodiac (Mark Ruffalo dans le film de Fincher) et qui fût déjà une source d’inspiration pour l’iconique personnage de Steve McQueen dans Bullitt. Malgré leurs gros calibres et leurs moteurs rutilants, Verneuil a bien dans l’idée de se montrer encore plus spectaculaire que ces illustres modèles ricains en jouant à domicile. Et qui d’autre pour incarner son super flic que l’un de ses acteurs fétiches, la seule star française à même de porter une telle production et dont la fructueuse collaboration a déjà donné une floppée de chefs d’œuvres (Un singe en hiver, Cent Mille Dollars au soleil, Week-end à Zuydcoote ou dans une moindre mesure Le Casse et d’autres à venir) ?*

Dominant logiquement un récit de toute façon taillé pour lui, la star Belmondo se montre plus décontracté qu’Eastwood et même que du « King of cool » McQueen, se lançant à la poursuite de l’œil de vert avec sa gouaille habituelle, sur des dialogues signés Francis Veber et épaulé par un second couteau de premier choix : le savoureux Charles Denner. L’acteur confère à son personnage son entrain légendaire qui lui permet de courir ses deux lièvres à la fois : le terrible Minos mais aussi Marconi, son « affaire personnelle à régler », tous deux incarnés par des gueules du cinéma italien. On pourrait même interpréter que, venant se glisser sur la rythmique du thème de Morricone (décidément l’époque d’un grand cinéma européen) dans une veine tendue quasi martiale que l’on retrouvera dans la musique des Incorruptibles, le sifflement détaché représente Bébel lui-même, un flic évoluant dans cette jungle urbaine avec l’élégance, la nonchalance et l’espièglerie d’un chat… de goutière assurément ! En effet, pour régler ces deux affaires, le bondissant Belmondo, tel un Tom Cruise avec deux zéros en moins sur le contrat d’assurance, enchaîne l’une des plus impressionnantes séries de cascades d’une filmographie jamais avare sur la question. Ainsi, une étourdissante séquence de poursuite le conduit des toits de Paris à la ligne 6, sa course sur le métro-aérien restant l’un des gros morceaux de bravoure de sa grande carrière de casse-cou, tandis qu’il finit carrément dans le ciel de la capitale, suspendu dans le vide par un hélicoptère. Inutile de dire qu’avec une telle ambition, conjuguée à une implication totale, le spectacle à l’œuvre dans Peur sur la ville n’a évidemment rien perdu de sa superbe.

Totalement dévoué à l’efficacité de son film et au façonnement du mythe populaire Belmondo, Henri Verneuil met en boîte un film d’action comme on en a peu vu en France. A l’origine d’un scénario déjà savamment rythmé, le cinéaste se montre tout aussi inspiré dans sa mise en scène, à la fois dynamique et inventive, que ce soit le plan subjectif déjà évoqué ou encore cette remarquable transition où Belmondo dégaine son arme pour nous entraîner dans le violent flashback du braquage où l’acteur donne dans la cascade motorisé. N’ayant pas à rougir de la comparaison avec les ténors américains du genre, Verneuil tire toujours le meilleur parti de son environnement parisien et on aurait même envie de voir un petit clin d’œil avec l’affiche du Friedkin d’alors, L’Exorciste, apparaissant dans les rues tandis que s’engage une scène de poursuite urbaine… Si l’inspecteur Letellier est une évidente réponse française au Harry Callahan de Don Siegel, il précède aussi de quinze ans d’autres supers flics têtes-brulées aux sens insolents de la punchline que sont Martin Riggs ou John McClane. Vingt ans plus tard, avec sa traque au serial-killer malin en quête vengeresse contre une société qu’il juge décadente, c’est bien en Seven que l’on pourrait également voir une réponse américaine venant ainsi boucler la boucle. Quoiqu’il en soit, on n’a aucun mal à imaginer le réalisateur de Zodiac compter Peur sur la ville parmi ses films de chevet.
Bref, Peur sur la ville est un authentique classique, un généreux film de genre, un grand spectacle populaire, de ces œuvres qui façonnent nombre de cinéphilies dont, vous l’aurez compris, la notre. Ne serait-ce que via son affiche qui claque, à l’instar de celles issues de sa collaboration légendaire (mais aussi conflictuelle…) avec René Château chez qui il faisait icone égale avec Bruce Lee, et qui s’est vue pastichée encore récemment par Au Poste !. Qu’il reprenne sans vergogne, puisqu’avec la classe requise, le look Bullitt de McQueen, ou qu’il soit dessiné par Melki, Belmondo, c’est dès le poster une promesse qui ne sera pas déçue, une légende qui s’imprimait de son vivant et un mythe qui ne devrait pas nous quitter de si tôt.
CLÉMENT MARIE
*Et non, la réponse n’est pas Francis Huster, lui qui se voit pourtant comme « le Clint Eastwood français », qui aura lui aussi l’occasion de traquer un tueur du Zodiaque dans une fiction française et qui fût même le dernier à faire tourner Belmondo !