
Only Angels Have Wings Film d’aventures américain (1939) de Howard Hawks, avec Cary Grant, Jean Arthur, Richard Barthelmess, Rita Hayworth, Thomas Mitchell et Sig Ruman – 2h01
En escale à Barranca, petite ville portuaire d’Amérique du Sud, Bonnie Lee rencontre des pilotes de l’équipe aéropostale dirigée par Geoff Carter qui tente de garder la compagnie à flots alors que s’enchaînent les missions dangereuses et, souvent, fatales…
Plus encore que le cinéma, la grande passion de Howard Hawks, c’est la mécanique ! Fasciné par l’automobile et l’aviation, il devient ingénieur et pilote à la fin de la Première Guerre mondiale avant de rejoindre peu à peu Hollywood la décennie suivante aux côtés de son pote Victor Fleming, partageant son amour des belles machines, et devant son premier grand succès en tant que réalisateur, Scarface, grâce à un producteur ayant lui aussi le nez dans les nuages, Howard Hughes. Et ça tombe bien puisque l’aviation devient un thème important dans le cinéma hollywoodien d’entre-deux guerres, propulsé par l’oscarisé Wings (1927) de William A. Wellman. Forcément, Hughes s’y met aussi avec Hell’s Angels (1930) et Hawks à son tour avec The Air Circus (1928), son premier parlant The Dawn Patrol (1930), Ceiling Zero (1936) et Air Force (1943). Mais le goût de l’aviation est aussi une malédiction, et Hawks perd son petit frère, Kenneth, lui aussi réalisateur, trouvant la mort dans un accident d’avion sur le tournage de son troisième film, Such Men Are Dangerous. Un rapport ambivalent à l’aviation, à la fois exaltant et funèbre, qui se trouve au cœur de Seuls les anges ont des ailes qui, à défaut d’être le premier chef-d’œuvre de Hawks (qui avait déjà signé Scarface et L’Impossible Monsieur Bébé), occupe une place décisive dans sa carrière, concentrant ses plus importantes thématiques au moment où sa filmographie prend son envol.

Le sujet du film, c’est Howard Hawks qui l’amène dans un traitement nourri d’histoires vécues par lui-même (le pilote agonisant sous les yeux de ses camarades) ou d’autres aviateurs (le personnage de Bat McPherson est inspiré d’un vrai pilote croisé par le réalisateur), dans un aérodrome perdu au milieu de la jungle sud-américaine inspiré par celui qu’avait découvert Hawks au Mexique durant les repérages de Viva Villa ! (qu’il n’a finalement pas réalisé). Un traitement qui n’intéresse pas les studios car il a plus la forme d’un reportage que d’un script traditionnel. Admiratif jusqu’à la jalousie de Josef Von Sternberg, Hawks débauche le fidèle scénariste de ce dernier, Jules Furthman, pour mettre en une forme plus accessible son traitement. Au final, Furthman avouera ne pas avoir modifié grand-chose, n’ajoutant qu’un peu de drame avec l’arrivée du couple McPherson et un semblant d’intrigue avec le contrat qu’espère décrocher Geoff en cas de réussite de ses missions. Le script finit par trouver preneur chez la Columbia et Hawks obtient carte blanche grâce à son couple de stars : le réalisateur propose en effet de ramener avec lui de la RKO Cary Grant, qu’il avait déjà dirigé dans L’Impossible Monsieur Bébé, et de lui faire donner la réplique à Jean Arthur, star maison de la Columbia venant de tourner dans l’Oscar du meilleur film du studio Vous ne l’emporterez pas avec vous (mais avec laquelle Hawks ne s’entendit pas très bien). Et le reste du casting est au diapason avec Thomas Mitchell remportant l’Oscar la même année dans La Chevauchée fantastique de John Ford, Richard Barthelmess qui retrouve le réalisateur dix ans après The Dawn Patrol et une jeune Rita Hayworth que Hawks se sent obligé d’engager tant « la caméra aime son visage ». Dépassant son budget et son planning de tournage (une habitude hawksienne), Seuls les anges ont des ailes est l’une des plus grosses productions de la Columbia cette année-là et aussi une des plus rentables, malgré une première annulée au festival de Cannes 1939 qui n’aura pas eu lieu.
Des années plus tard, Howard Hawks s’est souvenu qu’à la sortie du film : « un certain critique avait dit : « C’est le seul film de Hawks qui ne contienne pas une once de vérité ». Je lui ai écrit une lettre pour lui dire que le moindre détail du film est vrai. J’ai connu les hommes qui y sont et les événements qui s’y déroulent. Mais c’est juste un de ces cas où la vérité est plus incroyable que la fiction. » Une défense peut-être moins forte que celle de Claude Chabrol qui, à un spectateur qui lui demanda avec véhémence ce qu’était l’évidence hawksienne, lui répondit « C’est ça ! » avant de lui mettre son poing dans la tronche, mais en tous cas, la réponse de Hawks définit bien Seuls les anges ont des ailes. Si le film reste aujourd’hui monumental, c’est grâce à son écriture qui parvient à fondre un point de vue documenté, laissant deviner une authenticité (même si Hawks était aussi réputé pour être un gros mytho !), dans un film d’aventures enlevé et spectaculaire, encore diablement efficace. Car Hawks y raconte un mode de vie plus qu’une intrigue à proprement parler, parvenant à rendre crédible et communicatif l’existence assez épique de ses aviateurs, dans un film nous gardant toujours sur la brèche. Il n’y a qu’à voir les premières minutes du film où nous faisons la connaissance, en même temps que Bonnie, de deux pilotes dont l’un va immédiatement mourir dans la première mission à laquelle on assiste. La mort survient très tôt, faisant fondre sur les personnages une lourde fatalité, comme si celle, cinglante, du titre ne suffisait pas. S’ensuit une des meilleures séquences du film où Bonnie effondrée se confronte au cynisme de Geoff, mangeant comme si de rien n’était le steak commandé quelques minutes plus tôt par son défunt employé. Les deux personnages se réconcilient quelques minutes plus tard autour du piano au milieu d’une fête, le drame cohabite avec la comédie et ainsi va la vie à Barranca !

Du reste du film, Hawks ne perdra jamais cette intensité versatile, confinée dans un huis-clos habité par de nombreux personnages masculins se définissant avant tout comme des professionnels, concentrés sur l’action collective pour trouver le salut. Hawks inaugure là le canevas de ses prochaines réussites en tant que réalisateur avec Rio Bravo ou producteur avec The Thing. On ne quitte les intérieurs étouffants qu’au profit de séquences d’aviation qui, qu’elles soient réelles ou en maquettes, restent époustouflantes. Et encore, même dans les airs, on reste enfermé dans le cockpit ! Pour filer cette dangerosité quotidienne de la vie de pilote, les missions, toutes périlleuses, s’enchaînent indifféremment : on y livre par exemple de la nitroglycérine comme dans Le Salaire de la peur et son remake mais ce n’est ici qu’une livraison parmi d’autres. Une fois revenu sur la terre ferme, tout se joue dans le dialogue, comme toujours fourni et vif chez Hawks. Et comme toujours, Cary Grant excelle dans l’exercice, campant un héros pragmatique ne volant que pour les missions qu’il considère trop dangereuses pour ses autres pilotes. Face à lui, Thomas Mitchell est le bon copain, touchant quand sa vue baissante le force au sol, et Richard Barthelmess est le pilote déchu en quête de rédemption, rôle enrichi par son passé d’ancienne gloire du muet et par ses cicatrices dues à une opération de chirurgie esthétique ratée que Hawks refuse de dissimuler. Quant aux femmes laissées dans ce monde d’hommes, Rita Hayworth s’accommode timidement de son futur statut de sex-symbol tandis que Jean Arthur, peu à l’aise avec les demandes de son réalisateur et son goût pour l’improvisation, compose avec ces doutes pour jouer un personnage tentant vainement de s’intégrer au groupe. Quelques années plus tard, après avoir vu « la gamine » Lauren Bacall dans Le Port de l’angoisse et Le Grand Sommeil, elle s’excusa auprès de Hawks de ne pas avoir compris ce qu’il recherchait et promit d’être meilleure lors d’une prochaine collaboration qui n’eût jamais lieu. Mais il ne faudrait pas trop sous-estimer l’actrice car c’est à travers son point de vue que nous entrons dans ce chef-d’œuvre et découvrons le quotidien trépidant et redoutable de ces hommes jouant leur vie sur une pièce à double-face…
BASTIEN MARIE
Autre film de Howard Hawks sur le Super Marie Blog : Rio Lobo (1970)