Le Saut de l’ange

le-saut-de-l-ange-affichePolar contestataire franco-italien (1971) d’Yves Boisset, avec Jean Yanne, Sterling Hayden, Gordon Mitchell, Daniel Ivernel, Giancarlo Sbragia, Senta Berger – 1h40.

A Marseille, les élections municipales battent leur plein, à la phocéenne, charriant leur lot de cadavres. En effet, le puissant promoteur immobilier Forestier, employant des hommes du SAC, est bien décidé à éliminer le clan Orsini. Après avoir fait exécuter Lucien et Marc, le candidat à la mairie envoie son tueur à gage à Bangkok pour régler son compte à Louis, le dernier membre de la fratrie qui a tourné le dos à sa famille pour gérer une exploitation qu’il n’a pas hésité à défendre par les armes, ce qui lui a valu le surnom de « Cobra », en référence à son calibre de prédilection. Le contrat se déroule mal et c’est la femme de Louis qui est assassinée. Lorsque le veuf, qui a retrouvé le tueur pour lui faire cracher le morceau, débarque à Marseille, il découvre que sa petite fille a aussi fait les frais d’un autre attentat raté contre sa personne. Ivre d’une vengeance froide, Louis Orsini, pouvant compter sur ses compagnons d’armes thaïlandais, est bien décidé à dézinguer tous ceux qui ont décimé sa famille, avec, en tête, le candidat Forestier.

Vous l’aurez compris, Le Saut de l’ange, c’est du Boisset pur jus, alliant le polar revanchard à la dénonciation sans détour de la corruption généralisée. Ainsi, les amateurs de cinéma de genre prendront certainement leurs pieds devant la générosité d’un film où s’enchaînent meurtres sanglants, courses poursuites haletantes et affrontements badass. Dans le rôle du vengeur Louis Orsini, le choix de Jean Yanne a de quoi surprendre mais la nonchalance habituelle du Monsieur, à l’opposé de l’émotionnel souvent induit par un tel rôle, fait malgré tout mouche, d’autant qu’on ne trouvera pas grand chose à redire sur l’engagement physique de l’acteur anar. Yves Boisset peut aussi compter sur un casting international avec l’actrice autrichienne Senta Berger, l’italien Giancarlo Sbragia et les américains Gordon Mitchell et sa putain de gueule de cinéma mais surtout le grand, l’immense Sterling Hayden. Forcément, la présence de Johnny Guitar dans le rôle de Mason, ancien flic alcoolique et ami de longue date du héros, donne au film des allures de western, surtout lorsque l’affaire tourne au duel entre amis opposant ce vieux shérif et le vengeur corse.

Le Saut de l'ange (2)

Polar burné qui apparaîtra peut-être daté pour certains mais qui reste pourtant d’une belle efficacité, Le Saut de l’ange, Boisset oblige, se double également d’un discours politique qui ne prend pas la peine de se déguiser. Ainsi, celui qui réalisera Le Juge Fayard ouvre ici son film sur une série de meurtres préfigurant le règlement de compte final du Parrain (qui se répétera dans ses suites) ou les assassinats politiques du Elephant d’Alan Clarke, montrant sans détour la violence politique de notre pays et les liens qu’ont pu entretenir nos élus avec le grand banditisme. Heureusement, on parle là d’une toute autre époque et notre ministre de l’intérieur actuel ne s’est jamais fait surnommer « l’étudiant » par une figure du milieu marseillais des années 70… Plus tard, une scène, montrant des militants taguant des affiches se faire copieusement tabasser par une milice politique, rappelle l’affaire de la « fusillade de Puteaux » où des affrontements entre colleurs d’affiches ont conduit à la mort d’un militant socialiste. Le maire Charles Ceccaldi-Raynaud sera par la suite reconnu civilement responsable par la justice et le fait-divers inspirera notamment Adieu Poulet (comme quoi, les deux films n’ont pas en commun qu’une spectaculaire scène de grimpettes sur des grues). Yves Boisset n’hésite pas non plus à faire allusion au SAC, le fameux Service d’Action Civique d’un De Gaulle aujourd’hui si célébré qu’on en oublierait presque que le général avait quand même sa petite police parallèle. Mais là encore, c’est évidemment une toute autre époque et, Dieu soit loué, le cinéma de Boisset apparaît aujourd’hui totalement anachronique, en témoigne par exemple cette réplique, fusant lorsqu’une engueulade entre le chef de la police et le flic à l’ancienne Mason, ulcéré que les forces de l’ordre puissent servir de protection privée à un mafieux régnant en toute impunité :

« Changez le régime, changez la société, ça changera peut-être la police. »

CLÉMENT MARIE


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