Comédie américaine (2017) de Steven Soderbergh, avec Channing Tatum, Adam Driver, Riley Keough, Daniel Craig, Katie Holmes, Katherine Waterston, Seth MacFarlane, Sebastian Stan et Hilary Swank – 1h58
En Caroline du Nord, deux frangins rednecks montent un casse d’une course de dragsters. Pour ce faire, ils vont avoir besoin des services de Joe Bang, un célèbre braqueur derrière les barreaux…
Attention, cette bafouille raconte la fin du film ! Il est donc préférable de le voir avant de lire plus loin. Merci de votre compréhension.
Avec Logan Lucky, Steven Soderbergh sort de la retraite qu’il avait annoncée au moment de son téléfilm HBO Ma Vie avec Liberace (2013), après quoi il s’était concentré sur sa série The Knick. Pour autant, le réalisateur de Sexe, mensonge et vidéo ne revient pas pour rien, car Logan Lucky est né d’un système de production bien particulier. Sur la foi du premier scénario de Rebecca Blunt (qu’on soupçonne de ne pas exister et d’être un pseudonyme, pour le réalisateur lui-même ?), Soderbergh a produit Logan Lucky en totale indépendance, loin du système des studios. Il a en effet rassemblé son budget en vendant les droits du film à l’étranger ainsi que les droits télé et VOD. Sans s’embarrasser non plus des coûts d’un distributeur extérieur, Soderbergh s’est ainsi assuré non seulement une liberté créative totale, jusqu’à la promotion du film, mais a aussi amorti les risques au box office : Logan Lucky ayant déjà tous les prérequis en terme d’exploitation, même des recettes modestes seraient bénéfiques. Donc même si le film était un échec, au moins il ne pourrait s’en prendre qu’à lui-même.
Et le film dans tout ça ? Pour résumer, c’est un Ocean’s Eleven chez les bouseux, tel que le décrit Soderbergh lui-même au détour d’une réplique (les braqueurs sont surnommés les Ocean’s Seven-Eleven). Logan Lucky a la même structure que sa précédente trilogie, exposant la préparation du casse puis son exécution, avant de revenir dans une troisième partie sur les détails que le spectateur avait loupés. Soderbergh pose d’abord son film comme une comédie pince-sans-rire à la frères Coen, mais pour un résultat moins convaincant que chez ces aînés : malgré son excellent casting, en particulier Daniel Craig faisant de Joe Bang le cousin redneck de James Bond, Logan Lucky semble trop stoïque pour convaincre. Heureusement, Soderbergh nous dit ensuite de nous méfier des apparences : trop vite caricaturés comme des électeurs de Trump, les bouseux sont en fait très malins ; l’événement sportif beauf amasse des sommes de pognon colossales ; des ours en gélatine servent à la fabrication d’une bombe, etc. Soderbergh retourne tous les stéréotypes annoncés et ne manque jamais une occasion de surprendre ses spectateurs et ses personnages. Cela s’avère particulièrement gagnant quand le film rejoue le casse une seconde fois, révélant le génie insoupçonné de ses instigateurs, avec un résultat qu’on peut juger supérieur à Ocean’s Eleven. Car ce qui a changé dans l’esprit du spectateur n’est pas seulement la compréhension du plan, mais aussi l’empathie pour des personnages éminemment sympathiques, renforcée par la sincérité avec laquelle Soderbergh montre leur milieu (par exemple, le concours de beauté auquel participe la fille de Channing Tatum n’est pas traité avec l’ironie d’un Little Miss Sunshine).

Mais je dois avouer que je suis aussi tenté de faire un parallèle entre le sujet et la production de Logan Lucky : avec ce film tourné loin des studios, aussi loin qu’en Caroline du Nord, Soderbergh ne veut-il pas aussi, comme ses personnages, faire sauter la banque d’un entertainment tournant en rond comme une course de dragsters et brassant un tel pognon que les responsables ne savent même pas combien on leur a volé ? D’accord, la métaphore va peut-être un peu loin, mais le fait que Soderbergh utilise le genre du film de casse pour expérimenter un système de production indépendant et idéaliste ne me semble pas relever du hasard… Après tout, le all star cast d’Ocean’s Eleven nous envoyait du glamour en pleine tronche, alors les rednecks de Logan Lucky peuvent aussi bien être des héros de la débrouille et du do-it-yourself ! Malheureusement, le film de Soderbergh est loin d’avoir cassé la baraque et s’est contenté d’une sortie confidentielle, mais le réalisateur devait être lucide sur son modeste succès, vu la scène finale à la fois tendre et amère. En effet, elle nous montre tous les personnages du film réunis dans le bar d’Adam Driver trinquant avec l’agent du FBI à leurs trousses, sans qu’on sache si cette dernière est complice ou va les coffrer. Cette fin ouverte conclut un Logan Lucky décidément rusé et attachant, qu’il est bon de soutenir rien que pour sa production alternative, plus raisonnée et créative que celles des mastodontes hollywoodiens.
BASTIEN MARIE
Autre film de Steven Soderbergh sur le Super Marie Blog : Paranoïa (2018)