
Comédie dramatique américaine (2022) de Damien Chazelle, avec Margot Robbie, Diego Calva, Brad Pitt, Jovan Adepo, Li Jun Li, Jean Smart et Spike Jonze – 3h09
Los Angeles, 1926, Manny est un jeune immigré mexicain qui rêve de cinéma mais doit se contenter d’organiser de dantesques soirées pour un producteur. Lors d’une de ces orgies, il fait la rencontre de Nellie LaRoy, fermement décidée elle aussi à fouler les plateaux pour enfin montrer au monde la star qu’elle est, ainsi que de Jack Conrad, acteur au firmament qui sera d’ailleurs son sésame pour Hollywood. Ces trois personnages s’apprêtent à vivre un événement qui va bouleverser l’Histoire du cinéma, l’arrivée du parlant…
Après un fantastique four aux Etats-Unis, Babylon est donc sorti chez nous avec autrement plus de succès. Un destin tragique qui aurait de quoi serrer le cœur si ce côté baroud d’honneur ne collait pas furieusement bien à la peau moite de ce nouveau film foisonnant de Damien Chazelle.
Dès sa séquence d’introduction, dans laquelle notre héros doit ramener un éléphant pour une soirée, voir ainsi cette mission à la The Party prendre des allures de Sorcerer voire même, pour poursuivre dans les chefs-d’œuvres, du Grimsby de Louis Leterrier (si si !), c’est déjà l’assurance que la décadence promise par son titre sera de la partie. Difficile ainsi de ne pas penser au Loup de Wall Street, pour sa frénésie et un goût immodéré pour l’excès mais également par la présence de Margot Robbie (ainsi que PJ. Byrne, Ethan Suplee mais aussi notre cher Spike Jonze…). Difficile aussi de ne pas penser à Once upon a time in Hollywood pour son évocation à la fois drôle et douce-amère de l’usine à rêve mais également par la présence de Margot Robbie et Brad Pitt.

Damien Chazelle, vu la dimension de sa folle entreprise, assume pleinement cet aspect agressivement évocateur de son casting, menant ainsi plus largement une réflexion sur la star de cinéma : le (vieux) beau Brad réfléchissant sur sa propre carrière comme s’il cherchait le rôle qui lui permettrait de quitter l’écran avec classe mais sincérité tandis que Margot Robbie, peut-être la seule vraie grande star de cinéma de sa génération, travaille une filmographie exigeante et cohérente, incarnant cette fois-ci le rôle dangereux d’une actrice spectaculaire (ce qu’elle est incontestablement depuis sa révélation chez Scorsese) mais pas forcément à même de s’adapter aux changements de l’industrie… On s’amusera ainsi de la voir confrontée à une rivale incarnée par Samantha Weaving, souvent classée parmi les sosies de Margot Robbie aux côtés d’Emma Mackey (qu’elle retrouvera dans Barbie) et Jaime Pressly…

Cette réflexion sur l’artiste, qui poursuit assurément les obsessions de Chazelle sur Whiplash et La La land, semble trouver enfin ici un vrai équilibre, dénué de tout cynisme. Nous montrant à la fois le miroir aux alouettes de l’usine à rêve et ses travers les plus sombres sans jamais pour autant se départir de la magie certaine qui émane de ses productions, jouant sur la durée de sa partition pour jouir de différentes tonalités et explorer les variations émotionnelles avec gourmandise, voir même gloutonnerie. Certes, les risques d’indigestions sont toujours là et, comme chaque grosse cuite, Babylon a aussi son moment de flottement nauséeux, ici l’étrange descente dans l’enfer de l’entertainment aux côté d’un Tobey Maguire cadavérique, n’empêche que le résultat s’avère largement plus grisant que le spectacle coloré mais triste de La La Land. Bon, en même temps, j’ai toujours été plus branché par Stanley Donen et Gene Kelly que par Jacques Demy et Michel Legrand…
Et oui, alors qu’on pouvait plutôt s’attendre vu son titre à une adaptation de Kenneth Anger, c’est bien Chantons sous la pluie, déjà revisité en muet par Hazanavicius, qui trouve ici un nouveau remake inattendu, aux ambitions felliniennes pachydermiques mais qui touche par son enthousiasme communicatif et sa sincérité. Un hommage parfois maladroit mais toujours touchant au 7ème Art, par un cinéaste qui court sûrement bien trop de lièvres mais dont l’effort force le respect, qui, en se replongeant dans ses origines, porte également un discours plein d’espoir pour le cinéma de demain en cette période charnière mais qui n’en finit pas d’une industrie qui finalement ne s’est développée qu’à force de mutation. Se rangeant aux côtés de Spielberg mais aussi de Cameron pour célébrer l’avenir de leur Art et la foi en son temple, la salle de cinéma, Damien Chazelle n’aura malheureusement pas rencontré le succès du second mais qui sait, comme The Fabelmans, Babylon trouvera bien quelques moyens de transmettre son fiévreux virus cinéphilique…
CLÉMENT MARIE