
The Banshees of Inisherin Comédie en un acte irlandaise, britannique, américaine (2022) de Martin McDonagh, avec Colin Farrell, Brendan Gleeson, Kerry Condon et Barry Keoghan – 1h54
En 1923, sur l’île d’Inisherin, Padraic va, comme chaque jour, chercher son ami musicien Colm pour aller au pub. Sauf que ce jour-là, Colm ne lui ouvre pas la porte puis, quand il apparaît enfin au pub, boit sa pinte loin de Padraic. C’est la fin de leur amitié de toujours qui interpelle tous les habitants d’Inisherin…
Pour son quatrième long-métrage, le réalisateur et dramaturge britannique Martin McDonagh retrouve Colin Farrell et Brendan Gleeson, le duo d’acteurs de son premier film Bons Baisers de Bruges (2007), pour raconter la fin d’une amitié sur une petite île irlandaise. Un sujet hérité d’une troisième pièce de théâtre, jamais mise en scène, devant conclure une trilogie commencée par l’auteur avec The Cripple of Inishmann (1996) et The Lieutenant of Inishmore (2001). Ce sont donc cette fois Les Banshees d’Inisherin, du nom du petit morceau de musique composé par Colm dans le film et par son interprète Brendan Gleeson dans la réalité. Les banshees sont, dans le folklore irlandais, des esprits féminins augurant la mort. Selon Colm, il n’y en a pas sur Inisherin (encore que le doute est permis concernant Mrs McCormick qui effraie tous les habitants de l’île), et peu importe de toute façon car l’île d’Inisherin est elle aussi fictive, sortant de l’imagination de McDonagh pour les besoins de son conte. Après le succès critique et la pluie de récompenses de son dernier film 3 Billboards (2017), le réalisateur retrouve sa bonne fortune puisque Les Banshees d’Inisherin a été doublement primé à Venise (meilleur scénario et meilleur acteur pour Colin Farrell) et aux Golden Globes (meilleure comédie et meilleur acteur comique pour Colin Farrell), en attendant de voir ce qu’il remportera de ses neuf nominations aux Oscars (contre seulement quatre pour Avatar : la voie de l’eau, ce qui dévalue considérablement la statuette hollywoodienne).
Conte cruel et absurde, Les Banshees d’Inisherin confirme la personnalité de son auteur, disciple britannique des frères Coen (lien renforcé par la musique de Carter Burwell) ou du moins héritier cinématographique de Samuel Beckett. Le film aurait d’ailleurs bien du mal à dissimuler ses origines théâtrales et laisse le sentiment qu’il pourrait être joué sur une scène sans qu’on ne perde grand chose de ce drame reposant sur les dialogues (dont McDonagh veille à ce qu’ils soient respectés à la lettre par ses acteurs) et le jeu des comédiens (et effectivement, les sourcils de Colin Farrell jouent très bien). Une théâtralité qui semble assumée par l’auteur, à en croire le mixage sonore qui privilégie le dialogue aux autres sons (à moins que les vents d’Irlande aient contraint à les réenregistrer), et qui ne laisserait, comme seul élément plus spécifiquement cinématographique, les splendides paysages irlandais. Ils sont introduits par le premier plan du film, aérien et superbe, nous présentant ce banc de verdure s’immergeant de la mer sans qu’on sache vraiment à quelle échelle on se trouve. Et ces paysages, quadrillés de murets de pierres affûtées annonçant les dissensions à venir, ont surtout le mérite de rappeler à notre bon souvenir L’Homme tranquille (1952) de John Ford…

Toutefois, si Les Banshees d’Inisherin n’était qu’une pièce de théâtre, ce serait une sacrément bonne pièce de théâtre. On y retrouve le goût de son auteur pour les joutes verbales hilarantes, grandement rehaussées par l’accent irlandais à couper au couteau, son habileté à faire apparaître une épaisseur insoupçonnée à des personnages a priori idiots, et son don pour faire glisser très progressivement son récit de l’absurde à la violence, les rires des spectateurs se teintant d’intranquillité. Autant de qualités aptes à servir cette allégorie de la guerre civile irlandaise ayant lieu au même moment, ou à évoquer plus globalement ces conflits fratricides dont on oublie les causes à force de représailles. Un grand sujet qui eût été plus incisif dans un film plus « petit », plus ramassé : sa durée est un brin excessive, il ne sait pas toujours que faire de ses personnages secondaires, même joliment interprétés par Barry Keoghan et Kerry Condon, et les honneurs qui lui sont faits dans les hautes instances cinéphiles lui taillent un costard un peu trop large pour lui. Comme son titre insolite l’indique bien, Les Banshees d’Inisherin devrait à mon sens être perçu comme une jolie curiosité plutôt que comme une grande œuvre multi-récompensée.
BASTIEN MARIE