Armaggedon Time

Autofiction américaine (2022) de James Gray, avec Michael Banks Repeta, Jaylin Webb, Jeremy Strong, Anne Hathaway, Anthony Hopkins – 1h55.

Paul Graff, enfant juif du Queens, est scolarisé dans une école publique où il rencontre le noir Johnny. Ensemble, ils font les 400 coups mais les deux garçons ne font pas face aux mêmes conséquences. Face à la rébellion de Paul, ses parents l’envoient à la Kew-Forest School, une école privée où il découvre que les portes de la terre promise américaine ne sont pas grandes ouvertes pour tout le monde…

Passés deux Apocalypse Now, un bien dans la jungle mais boudé par le public et un autre prenant des allures d’odyssée de l’espace en partie sabordé par le studio, James Gray est donc de retour dans son New York natale pour un projet plus personnel que jamais puisqu’il s’attaque carrément au récit de ses jeunes années. Après le Once upon a time… in Hollywood de Tarantino, le Licorice Pizza de PT Anderson et en attendant les Fabelmans de Spielberg, Armaggedon Time est donc une nouvelle nouvelle chronique de cinéaste, dépeignant une époque révolue mais qui porte pourtant en elle les fondements de notre présent chaotique, s’intéressant ici au glissement qui a conduit les Etats-Unis a quitté le doux rêve de progrès des années 50/60 pour embrasser celui d’une compétitivité toujours plus débridée et mortifère…

Ainsi, James Gray suit son Antoine Doinel, Paul Graff (impeccable Banks Repeta), de sa scolarité turbulente et son amitié avec Johnny (charismatique Jaylin Webb chez qui on croirait voir un jeune Yaphet Kotto) à son envoi dans une école privée administrée par le patriarche Trump pour un parcours qui le confronte à l’injustice du privilège blanc et à des hautes sphères toujours encrassées de racisme. Face à ces bouleversements moraux, le garçon interroge ses figures familiales pour savoir comment être un « mensch » dans une société si loin d’être à la hauteur de ses grands principes. Ce portrait juste et touchant de ce « juif du futur » en cache aussi évidemment un autre, en creux, celui d’un personnage plus grotesque et glaçant, dont on ne verra que le père et la sœur ainée, Jessica Chastain remplaçant Cate Blanchett initialement annoncée dans le tailleur pourpre de Maryanne Trump…

Donnant à cette origin story intimiste de la politique américaine contemporaine des allures d’histoire de fantômes, Gray peut compter sur la photo lugubre de Darius Khondji qui poursuit un travail photographique sur le noir à nul autre pareil, parvenant même à convaincre le cinéaste fétichiste de la pellicule à tourner en numérique pour justement coller au plus près aux images de la fin des années 70. Et pour incarner la mémoire de l’exil, Anthony Hopkins livre une performance déjà bien plus précieuse que la statuette dorée qu’il pourrait encore recevoir, puissante, posée et élégante, à l’image d’un film qui nous rappelle qu’une grande mise en scène ne se mesure pas qu’à la longueur d’un plan séquence. Aussi, bien qu’étant clairement le fruit de plusieurs époques qui s’entrechoquent, la notre, les années 80 (pour une représentation bien moins coloré qu’à l’accoutumé) et d’autres encore un peu plus éloignées, Armaggedon Time, comme tous les films de James Gray, prend aussi une dimension intemporelle, s’imposant comme un récit initiatique dont la profondeur mythologique dépasse largement le simple commentaire politique.

Paul et Johnny, une amitié révélant une Amérique qui n’a pas tant changé depuis les récits de Mark Twain…

Armaggedon Time, dont le titre fait clasher le raggae de Joe Strummer et la propagande de Ronald Reagan, c’est un peu le Freaks and Geeks de James Gray (et c’est un compliment !), nous replongeant dans les amitiés adolescentes et les découvertes musicales de l’époque. Ici, le jeune Paul se voit initier au Sugarhill Gang et à l’émergence du dernier des grands mouvements contre-culturels tandis qu’il fantasme les super-héros entrer au Guggenheim… Alors que les MCU et Kanye West d’aujourd’hui auraient de quoi rendre ces rêves amers, le film nous rappelle que le hip-hop et les comics sont bien plus que ces piliers branlant d’un entertainment malade qui, en dépit des postures et des provocations, semble vidé de sa force contestataire. Et que dire de la conquête spatiale qui semble désormais se réduire à un tourisme indécent sous l’impulsion d’entrepreneurs milliardaires aux allures de grotesques méchants de James Bond ? Armaggedon Time, constat implacable d’un rêve américain qui tient tout autant du cauchemar, adresse malgré tout un message d’espoir à une nouvelle jeunesse révoltée qui devra, de gré ou de force, tracer sa propre route.

CLÉMENT MARIE

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