
Film de science-fiction américain, japonais (2022) de Jordan Peele, avec Daniel Kaluuya, Keke Palmer, Brandon Perea, Michael Wincott, Steven Yeun et Keith David – 2h10
Vivant dans un ranch isolé dans le désert californien, ayant hérité du business de dressage de chevaux pour le cinéma de leur père récemment disparu, O.J. et Emerald Haywood découvrent que leur vallée perdue est squattée par un OVNI…
Un troisième long-métrage faisant suite à un début de carrière fulgurant où des aliens viennent emmerder des provinciaux dans leur ranch isolé dans une vague tradition spielbergienne : non, nous ne parlons pas de Signes mais bien de Nope. Si les ressemblances entre les deux films s’arrêtent là, le destin se répète étrangement pour Jordan Peele qui, comme son camarade Shyamalan vingt ans avant lui, en appelle aux rencontres du troisième type pour assoir définitivement sa place de nouveau wonder boy hollywoodien, quelque peu fragilisée par la mauvaise réputation de son remake de La Quatrième Dimension. A priori, le pari semble déjà relevé d’avance tant Nope s’impose aisément comme le plus curieux blockbuster estival dans un été cinématographique déserté par les propositions originales. Comme le prouvait la révélation de son trailer lors de la mi-temps du Super Bowl qui, déjà, suscitait des théories sur son simple titre : Nope signifie certes non, mais ne serait-ce pas également l’acronyme de Not Of Planet Earth ? (Réponse : est-ce bien important ?)
Curieusement, si Get Out a mis tout le monde d’accord avec l’univocité de son propos et si Us a réussi à séduire malgré un dénouement maladroit, Nope semble être immédiatement perçu comme une œuvre cryptique dont, à cause d’une chaussure tenant mystérieusement en équilibre, il s’agirait de dénicher un sens secret. Ainsi, si personne n’oserait spoiler un récit pourtant convenu, beaucoup ont déjà consacré Nope comme une grande œuvre sur la société du spectacle, une métaphore grinçante sur l’appétence des pauvres terriens pour le divertissement. Loin de moi l’intention de doucher ces prétentions de brillants exégètes, ces thématiques existent bel et bien dans le film, mais elles me semblent surtout servir de cache-misère à un métrage qui prend un temps fou à démarrer. Jordan Peele se repose sur sa réputation de mec qui se creuse les méninges et qui a des choses à dire pour faire diversion sur la première moitié laborieuse de son film, éclaté façon puzzle. Le réalisateur et scénariste s’éparpille en séquences annexes (Steven Yeun, son parc d’attractions et son trauma d’enfant acteur pourraient appartenir à un autre film), impose un chapitrage inopportun sur un récit si linéaire, et espère que le spectateur va projeter son délire analytique dans tous les trous de sa toile narrative. Ce qui donne l’impression de voir un film trop minimaliste et trop disparate à la fois, animé par une poignée de personnages pauvrement caractérisés et donnant peu de matière aux acteurs : non seulement Keith David est tristement sous-employé, mais en plus Daniel Kaluuya rivalise avec le sous-jeu du Mel Gibson de Signes. Ce qui ne l’empêche pas de rester le meilleur acteur du film : la nonchalance lui va bien et c’est surtout lui qui dit nope !

Dommage qu’un éventuel compagnon d’écriture n’ait pu offrir une meilleure charpente au film car, passées ces nombreuses scories et une fois qu’il arrête de se prendre la tête, Nope parvient à être le blockbuster exaltant qu’on est en droit d’attendre. Et même s’il est le moins abouti de ses films, il confirme les espoirs qu’on place en Jordan Peele qui reste malgré tout soucieux de proposer de l’originalité et du ré-émerveillement au milieu d’une concurrence qui préfère servir du tout cuit à un public qu’elle méprise. Une fois déblayé le lourd bagage métaphorique et dès qu’on se concentre sur l’action et la traque d’un ovni, Nope s’envole enfin, donne plus assurément corps à son propos sur le cinéma, et déploie une mise en scène bien plus convaincante – on ne m’a d’ailleurs jamais aussi bien vendu l’Imax. Si on est loin du jusqu’au boutisme de La Guerre des mondes de Spielberg et sous forte influence japonaise avec Evangelion, l’extraterrestre de Nope reste des plus singuliers et fascinants, et n’est-ce pas là le principal. « Je veux que les spectateurs sortent de Nope en scrutant le ciel comme ils scrutaient la surface de l’eau en sortant des Dents de la mer. » a déclaré Jordan Peele, et il n’était pas loin d’y parvenir, même s’il a bien divisé les Super Marie sur la question. Il ne vous reste donc plus qu’à voir Nope, ne serait-ce que pour vous en faire votre propre avis.
BASTIEN MARIE