
Film de super-héros américain (2022) de Sam Raimi, avec Benedict Cumberbatch, Elizabeth Olsen, Xochitl Gomez, Rachel McAdams, Benedict Wong and guests- 2h06
Alors que Stephen Strange se rend au mariage de Christine… en tant qu’invité, la jeune America fait irruption dans New York, pourchassée par un poulpe géant. Assisté par Wong, le sorcier le met vite hors d’état de nuire. Strange découvre qu’America a le pouvoir de voyager à travers le multiverse et décide de demander de l’aide à Wanda, qui vit recluse depuis les incidents de sa mini-série…
En voilà un film attendu de longue date, redouté même on pourrait dire… Il y a vingt ans, quasiment jour pour jour, Sam Raimi, cinéaste déjà adulé par les cinéphiles les plus déviants, accédait à une notoriété tout autre, à la manière d’un autre réalisateur néo-zélandais avec un autre pan de la sous culture, en portant enfin à l’écran le légendaire Spider-Man avec toute l’attention et les moyens qu’il méritait. Avec le triomphe de son adaptation, véritable fantasme geek fait film, Sam Raimi ouvrait définitivement les portes du cinéma à Marvel. Vingt ans plus tard, la maison des idées, passée sous le giron de Disney, domine désormais l’industrie du divertissement grâce à son MCU et son modèle franchisé jusqu’à la nausée qui déteint sur le reste de la production hollywoodienne. Quant à Sam Raimi, passée sa merveilleuse trilogie de l’homme araignée, dans laquelle s’était intercalé un Jusqu’en enfer qui, malgré son gore réjouissant, avait divisé ses fans, il n’a réalisé pour le cinéma qu’un seul film, un préquel du Magicien d’Oz pétri de bonnes intentions mais qui n’a malheureusement pas vraiment marqué les esprits. Associé un temps au film World of Warcraft, annoncé pour une adaptation spatiale de Tombstone ou encore un remake d’Un prophète d’Audiard, les projets n’ont pourtant pas manqué, ont même parfois abouti à la télévision (la série Ash vs Evil Dead) ou en prod (le remake d’Evil Dead, Don’t Breathe ou Crawl) mais on se languissait de le revoir vraiment à l’œuvre. Aussi, quelle ne fut pas notre surprise de le voir ainsi reprendre la suite de Doctor Strange, cela dit déjà annoncé comme un projet dark quand Scott Derrickson, réalisateur du premier volet, issu de l’horreur low budget comme Raimi, devait encore rempiler. Face à la toute puissance de Kevin Feige le conquérant, grand annihilateur d’univers artistique au profit de son saccro-saint MCU qui vient néanmoins d’accuser ses premiers échecs, le cinéaste a-t-il réussi à ne pas perdre son âme ? Sam Raimi in the Madness of the Marvel Cinematic Multiverse, c’est bien le film le plus passionnant qui se joue ici…
Attention, même si le film est d’ores et déjà spoilé en salaud sur les internets, on préfère vous prévenir que, passé cet avertissement, on risque de ne pas s’en priver non plus…

Autant le dire d’emblée, on le savait de toute façon dès l’annonce de Sam Raimi aux commandes du projet, le cinéaste vient évidemment réaliser le film de Kevin Feige. Ainsi, il doit évidemment composer avec la caractérisation pas franchement folichonne du premier volet que le scénario, dirigé par Michael Waldron, débauché sur Rick and Morty et déjà derrière la série Loki, tente néanmoins tant bien que mal de consolider en renvoyant Strange à son passé et à ses regrets, ceux de ses choix lors de l’Infinity War mais surtout ceux entourant son histoire avec Christine. Aussi, l’arrogance du personnage, souvent limité dans le MCU à combler l’absence d’un Robert Downey Jr adulé et pourtant bien tête à claque, est ici laissée au vestiaire, ou reléguée aux variants de Strange, pour laisser place à des doutes qui nous laisserait entrevoir un premier degré rarement observé dans le MCU. Aussi, le personnage de Wanda, poursuivant l’arc de Wandavision moins réglé qu’on pouvait le penser, s’impose comme une méchante impitoyable, bénéficiant d’un background plus étoffé que jamais (synthétisé en un plan par Sam Raimi pour ceux qui n’auraient pas suivi les épisodes précédents) et servi par une Elizabeth Olsen plus investie que le reste du casting (même si on sauverait bien la choucarde Rachel McAdams qui fait de son mieux dans non plus un mais deux rôles de love interest…). Que les amateurs se rassurent, cette profondeur reste donc toute relative et même carrément inexistante en ce qui concerne la nouvelle venue America Chavez. D’un personnage dont le pouvoir est lié à la peur dans un blockbuster qui affiche une teinte horrifique, il y avait forcément matière à mieux. Et c’est d’autant plus triste à voir dans un film de Sam Raimi…
Autre contrainte d’un tournage à la Feige, le film aurait été largement reshooté et on pense immanquablement à la fameuse séquence des Illuminati, faisant tourner la machine à spéculations depuis des mois parmi les fanboys. Répondant à la fameuse logique des guest plus que jamais à l’œuvre dans le MCU, ce passage, qui constitue finalement l’essentiel de la partouze de super-héros annoncée, est certainement le plus embarrassant du film (avec l’intro qui a bien failli me faire rendre mon quatre heure…). Il permet néanmoins à Sam Raimi de s’offrir un dézingage de super-héros un chouïa cracra. Faut dire que le réalisateur d’Evil Dead semble bien avoir été invité pour tenir la promesse horrifique du film, s’attachant particulièrement au personnage de Wanda, touchant notamment au virtuose dans une scène de prison mentale à base de miroir qui nous rappelle avec émotion le Sam Raimi des grands jours. Au miroir s’ajouteront un simili Necronomicon, un Evil Strange et même un Strange Deadite qui, s’ils collent à la diégèse du comics, laissent la désagréable impression de voir un grand cinéaste condamné à s’autociter dans un univers de fan service où Evil Dead 2 est une référence eighties comme une autre qu’il serait dommage de ne pas convoquer alors même qu’on a son réalisateur sous la main.

Composant donc avec un MCU bordélique au possible et ses propres figures imposées, le cinéaste, embarquant Danny Elfman avec lui dans son périple casse gueule, livre donc un roaller coaster terriblement inégal qu’il n’arrive malheureusement pas à rendre digeste et dont les dérapages semblent toujours contrôlés. Et pourtant, tels des junkies en manque, on est quand même content de se retaper un petit fix de Sam Raimi et, si la came n’est pas la plus pure, le shoot a quand même de quoi réveiller quelques sensations. La rencontre entre sa caméra folle et le plus psychédélique des héros Marvel tient suffisamment ses promesses pour aciduler un peu cette sauce industrielle. En témoigne cette séquence euphorisante de voyage interdimensionnel, petit trip visuel touchant à la folie stylistique de Spider-man : New Generation, qu’un dialogue vient malheureusement bassement rationnaliser à coup de blagues. Comme la série Wandavision, où les différents langages télévisuels n’étaient renvoyés qu’à des fantasmes alternatifs et inconséquents pour finalement mieux imposer une esthétique du réel propre au MCU et peu ou prou imposée à toutes ses itérations, Doctor Strange in the Multiverse of Madness offre quelques bulles de créativité salvatrice mais voit celles-ci sitôt percées par l’entreprise plus vaste à l’œuvre et qui ne répond qu’à la logique du marché. Sam Raimi a-t-il vendu son âme à Marvel ? Cette question semblait la plus importante soulevée par un film qui n’y apporte pas vraiment de réponse définitive. Je dirais pour ma part qu’il la loué et maintenant, j’attends la suite avec impatience… La suite de Sam Raimi évidemment (Darkman 2 ?), parce que celle du MCU, je m’en fous un peu plus encore…
CLÉMENT MARIE
Et quid des séquences post générique apparemment indispensables?…
La première, sûrement shootée par la deuxième équipe, présente fadement le personnage de Clea, Charlize Theron faisant son entrée dans le MCU eyelinée comme un camion tout neuf (sachant qu’aucun ne lui va mieux que le cambouis…). La seconde scène, traditionnellement plus légère, s’attache quant à elle à un perso secondaire mais surtout pour adresser un clin d’œil à la fanbase de Sam Raimi via un nouveau Bruce Campbell vs sa main. Que le « c’est fini » marque la fin d’un long calvaire ou un « That’s all folks » sincère, on vous laisse juge…