Don’t Look Up : Déni cosmique

Don’t Look Up Comédie catastrophique américaine (2021) d’Adam McKay, avec Leonardo DiCaprio, Jennifer Lawrence, Rob Morgan, Meryl Streep, Jonah Hill, Mark Rylance, Cate Blanchett, Tyler Perry, Timothée Chalamet, Himesh Patel, Ron Perlman, Ariana Grande, Scott Mescudi et Melanie Lynskey – 2h18

Deux astronomes de l’Université du Michigan, le docteur Randall Mindy et son étudiante Kate Dibiasky, découvrent une gigantesque comète fonçant droit sur la Terre, menaçant de la détruire dans six mois. Ils sont aussitôt escortés à la Maison Blanche, mais leurs tentatives de sensibiliser le gouvernement, les médias et la population sont des échecs, car tout le monde a l’air de se foutre royalement de la fin du monde…

S’étant fait connaître comme complice de Will Ferrell avec lequel il avait fondé la société de production Gary Sanchez Productions et signé les comédies méga-cultes Anchorman : The Legend of Ron Burgundy (2004) ou Step Brothers (2008), Adam McKay s’est depuis consacré à des sujets plus « sérieux » attirant des acteurs « nobles » (Christian Bale, Brad Pitt, Ryan Gosling) sur des films pointant à la course aux Oscars : la crise économique dans The Big Short (2015), la vice-présidence de Dick Cheney dans Vice (2018). Plutôt qu’une rupture chez un réalisateur se prenant soudainement au sérieux, il faut bien y voir l’évolution cohérente d’un cinéaste dont les premières comédies gogols étaient déjà politiques et qui pouvait amorcer des thématiques profondes dans un film mainstream – ainsi le buddy movie The Other Guys (2010) préparait le terrain de The Big Short. Avec Don’t Look Up, que certains ont vu comme un retour à la comédie légère sous prétexte que ses personnages redeviennent fictifs (dommage qu’Ariana Grande n’y joue pas son propre rôle pour égratigner cette impression d’insouciance), McKay est dans la parfaite continuité de ses films précédents, avec celui-ci inspiré de « faits réels pas encore survenus » tel que le rappelle justement l’affiche. S’attaquant cette fois au grand sujet de l’écologie, symbolisé par cette gigantesque comète servant de loupe grossissante pour observer ses spécimens d’humanité joués par un casting quatre étoiles, le réalisateur de Vice aiguise encore son sens de la satire et sa déconstruction des systèmes modernes.

Si le pitch fait penser à deux apocalypses de 1998, Armageddon et Deep Impact, Don’t Look Up s’apparente plutôt à un troisième film de cette période, le Mars Attacks de Tim Burton, dont il reprend la charge satirique portée sur un casting prestigieux pris dans les phares d’une apocalypse à l’échelle des USA, et donc du monde. Sauf que la farce de Burton était permise par le miroir porté par ses martiens sortis d’un E.C. Comics et la parodie de la tripotée de films catastrophe estampillés fin de siècle, alors que celle d’Adam McKay repose sur une angoisse écologique bien réelle, rendant son film un peu trop pertinent pour notre propre bien (vivement qu’un grotesque Moonfall ramène sa catharsis débile !). En réalité, Don’t Look Up se rapproche plus encore de Network, son humour satirique devenant l’inquiétante clairvoyance d’un film d’anticipation qui n’anticipe que de très peu (d’ailleurs, McKay a dû modifier quelques trucs de son scénario écrit avant la crise du Covid, des éléments sortis de son imagination étant devenus réalité avec la pandémie !). Le film enchaîne les situations dont on se demande jusqu’à quel point elles sont exagérées, et nous fait passer par toute sorte d’émotions, le rire hilare et/ou nerveux cohabitant avec l’angoisse et la mélancolie. On y partage la colère et les crises de panique des personnages de Jennifer Lawrence et Leonardo DiCaprio qui, quand ils poussent une gueulante, font immanquablement penser à Howard Beale (Peter Finch), le prophète dépressif du film de Sidney Lumet. Sauf que le coup de colère ne devient plus la source d’un ras-le-bol généralisé repris par les téléspectateurs à leurs fenêtres, mais sont transformés en memes moqueurs partagés par les internautes derrière leurs écrans…

Le docteur Randall Mindy (Leonardo DiCaprio) pousse sa gueulante, mais ce n’est pas comme ça qu’il va avoir des likes…

Paddy Chayefsky aurait été fier de cette vision noire de la toute-puissance médiatique, de la manière dont elle assimile un sujet brûlant et le soumet à la binarité d’un monde mené par les pouces en l’air et les pouces en bas – ce qui nous laisse aussi nous demander si Netflix est vraiment le meilleur endroit pour porter cette réflexion. Naturellement, les réseaux sociaux, avec leurs torrents de commentaires, leurs slogans au hashtag ou leurs challenges idiots, prennent une place décisive dans un récit grotesque mais crédible. Une densité permise par le montage expert de Hank Corwin, monteur d’Oliver Stone et de Terrence Malick, deux influences qui se télescopent ici, et dont les coupes brutales ou les plans figés, à moins qu’ils ne soient dus à une baisse de débit de ma box, donnent corps à ce sentiment de fin du monde. En bon maître de la comédie, Adam McKay soigne son rythme et jongle avec aisance entre tableaux de fin du monde et goût pour l’improvisation, vieille habitude du réalisateur dont ses acteurs s’acquittent avec une réussite variable : on appréciera moins par exemple le numéro présidentiel de Meryl Streep que celui de son fils Jonah Hill à la débilité abyssale, comme en témoigne son vibrant hommage aux « trucs » voués à disparaître. Mais le vrai visage de Don’t Look Up, outre celui du PILF Leonardo DiCaprio, est celui de Mark Rylance, amalgamant les leaders de GAFA dans une autoparodie de son rôle de Ready Player One, mêlant brillamment humour et effroi derrière son allure d’androïde ; une incarnation du post-humanisme qui fait aussi froid dans le dos que la comète de Damoclès au-dessus de nos têtes.

BASTIEN MARIE

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