Licorice Pizza

Chronique américaine, canadienne (2021) de Paul Thomas Anderson, avec Cooper Hoffman, Alana Haim, Sean Penn, Tom Waits, Bradley Cooper et Benny Safdie – 2h13

Los Angeles, 1973. Le jour de la photo de classe, Gary Valentine, jeune acteur de quinze ans, propose un rencard à Alana Kane, plus âgée que lui, venue à son lycée pour assister le photographe. Elle accepte mais refuse qu’il la considère comme sa petite amie. Pourtant, ils passent beaucoup de temps ensemble, partageant des aventures rocambolesques…

Ereinté par l’exigeant Phantom Thread et en marge de la longue écriture d’un nouveau projet aussi ambitieux, Paul Thomas Anderson souhaitait faire un film plus simple, moins prise de tête. C’est ainsi que, à partir du souvenir cocasse d’avoir vu un adolescent draguer une jeune femme bien plus âgée que lui, il s’est mis à collecter, dans un scénario d’abord informel, des anecdotes vécues ou entendues, allant d’authentiques histoires hollywoodiennes aux récits rocambolesques de son ami Gary Goetzman, enfant acteur avant de devenir producteur de Jonathan Demme, et inspiration majeure du personnage de Gary Valentine. Une collection de scénettes qui finissent donc par ramener PT Anderson au Los Angeles des années 70 pour une troisième fois après Boogie Nights (1997) et Inherent Vice (2014), mais par un biais plus personnel. Il s’agit d’une autobiographie par procuration, un précis de nostalgie qui rappelle le Once Upon a Time… in Hollywood de Quentin Tarantino – au point qu’à la vision de ce dernier, Anderson faillit jeter l’éponge ! Heureusement, il n’en fut rien et son script finit par s’intituler Licorice Pizza, littéralement « pizza à la réglisse », métaphore du vinyle et nom d’une franchise de disquaires de l’époque dont la simple évocation suffit à ramener PT Anderson à son enfance. La nostalgie se vendant bien à Hollywood, le film fut, de l’aveu du réalisateur ayant opté pour un sujet moins ambigu qu’à son habitude, relativement simple à financer, avec un budget avoisinant les 40 millions de dollars. Par ailleurs, le tournage, effectué entre deux vagues pandémiques, s’avère presque familial, Anderson n’allant pas chercher bien loin ses deux acteurs principaux. Gary est joué par Cooper Hoffman, fils du regretté Philip Seymour Hoffman, acteur fétiche du réalisateur, et Alana par Alana Haim avec laquelle Anderson avait déjà travaillé pour des clips du groupe Haim, composé d’Alana et ses sœurs. Toute la famille Haim se retrouve d’ailleurs à jouer la famille d’Alana dans le film, dont sa mère qui était aussi la prof d’Anderson au lycée dans la vraie vie. Ajoutons l’apparition de Maya Rudolph, madame Anderson à la ville, un caméo très furtif du copain John C. Reilly, la fille de Spielberg par-ci, le père de DiCaprio par-là, ou encore Sean Penn qui ramène lui-même son pote Tom Waits pour lui donner la réplique, pour s’apercevoir que Licorice Pizza semble s’être tourné dans la franche camaraderie du petit monde de L.A., propice à la réminiscence.

Alana Kane (Alana Haim) et Jack Holden (Sean Penn) se préparent à une soirée au resto, et le film est si bien fait qu’on sentirait presque la brise de ce crépuscule californien…

Du coup, Licorice Pizza ne raconte pas grand chose, mais ce n’est pas grave. Ou alors il raconte éventuellement un très classique « boy meets girl », postulat de la première séquence tout en longs plans portant déjà la discrète maestria de l’auteur, mais les sentiments des deux personnages principaux se développent ensuite en marge d’un film à sketchs dont ils sont parfois acteurs, parfois spectateurs, propices aux apparitions savoureuses de guest stars inspirées et aux étonnantes digressions. Propre à son style singulier, ayant transcendé les influences scorseso-altmano-kubrickiennes des débuts, Paul Thomas Anderson nous cueille une nouvelle fois avec ce curieux équilibre entre contrôle et relâchement, maîtrise et trivialité. Une heureuse incertitude qui était auparavant permise par les méandres du film noir (psychédélique de surcroît) d’Inherent Vice et qui l’est cette fois par le récit de la chronique, empilant les épisodes de vie dans une chronologie volontairement erratique, rapprochant Licorice Pizza du cinéma de Richard Linklater (qui serait lui aussi en train de préparer un film sur sa jeunesse). Le long-métrage est comme les business de Gary : parfois flottant comme ses matelas à eau, poussant la confusion jusque dans le rapport à la réalité (comment se fait-il par exemple que Bradley Cooper joue le vrai Jon Peters et Sean Penn un faux William Holden ?), parfois nerveux comme ses flippers, nous faisant nous accrocher à notre siège le temps d’une manœuvre compliquée d’un camion en roue libre ou d’une arrestation policière musclée menaçant de faire dérailler le film. Et Licorice Pizza s’apprécie dans ces contradictions et ce rythme fluctuant, nous laissant libre de vagabonder dans son récit nostalgique, imprécis par nature.

Devant son Pinball Palace, Gary Valentine (Cooper Hoffman) se demande s’il n’aurait pas mieux fait d’ouvrir une pizzeria à réglisse…

Ainsi, aussi imprévisible soit-il, on se sent bien dans Licorice Pizza. Le casting y est pour quelque chose : outre les numéros aussi hilarants que flippants de Bradley Cooper ou Harriet Sansom Harris, et la ribambelle de gosses suivant Gary dans toutes ses combines rappelant la famille de Boogie Nights (avec toutefois des entreprises plus adaptées à leur jeune âge), Cooper Hoffman et Alana Haim crèvent tous deux l’écran ; ils sont pourtant loin des canons de beauté, encore plus en l’absence de maquillage, mais il ne leur faut pas plus de cinq minutes pour nous renverser par leur insolente assurance d’acteurs pourtant débutants. Lui, avec son ahurissant bagout de jeune acteur et entrepreneur, et elle, petite dernière d’une famille qui l’étouffe et l’infantilise, font aussi oublier leur différence d’âge, faux sujet (comme il y en a beaucoup dans la filmographie d’Anderson) d’un film excellant par ailleurs à définir l’esprit de 1973 par contraste avec celui de 2021 sans alourdir le dialogue entre les deux époques. Au contraire, Licorice Pizza est léger, presque frivole, à l’image de Gary accueillant à bras ouverts la crise pétrolière, s’amusant du chaos sur du Bowie, se laissant griser par le mouvement du monde qui l’emporte. De la même façon, PT Anderson cherche moins à raconter une histoire qu’à transmettre la sensation d’une époque, perfectionnant moins la cohérence scénaristique que la brillance visuelle avec son image idéalement pelliculée – les quelques milliers de chanceux qui auront pu le voir en copie 70 mm à l’Arlequin à Paris devraient confirmer ! Et le résultat est une nouvelle fois à la hauteur : Licorice Pizza inaugure l’année cinématographique 2022 sous les meilleures auspices, faisant un bien fou en ces temps de multiples crises, et il y a fort à parier que les souvenirs ici collectés et brillamment mis en scène par Paul Thomas Anderson se rappelleront bientôt à nous comme si c’étaient les nôtres !

BASTIEN MARIE

« empilant les épisodes de vie dans une chronologie volontairement erratique », c’est bien gentil, mais ça n’empêche qu’il y a plein d’images dans cette bande-annonce qui ne sont pas dans le film fini, et ça c’est toujours hyper frustrant !
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