
The Matrix Resurrections Film de science-fiction américain, britannique, australien (2021) de Lana Wachowski, avec Keanu Reeves, Carrie-Anne Moss, Jessica Henwick, Yahya Abdul-Mateen II, Jonathan Groff et Neil Patrick Harris – 2h28
Attention, cet article contient des spoilers ! Merci de votre compréhension.
Dix-huit ans après avoir mis un terme à la guerre entre humains et machines, Neo alias Thomas Anderson est de retour dans la matrice où il est devenu un créateur de jeux vidéo dépressif à San Francisco, reconnu pour une série de jeux à succès appelée Matrix. Une morne existence dont vont le tirer Bugs et son équipe, interpellées par un modal qu’il avait inconsciemment laissé dans la matrice…
1999 : l’année cinématographique devait être marquée par le retour de Star Wars dont l’épisode 1 sortait seize ans après Le Retour du Jedi, mais le film de George Lucas se fit piquer la vedette par le succès inattendu d’un film de SF réalisé par deux frangins. Dix-huit ans après Matrix Revolutions, voilà que débarque ce Matrix Resurrections, réalisé par l’une des deux sœurs, et qui devient le Menace fantôme de la saga qui n’a pour seul concurrent direct le désespérant Spider-Man No Way Home. A l’heure où l’attente d’un film provoquée par le visionnage massif de sa bande-annonce est devenue plus importante que le film lui-même (ça ne viendrait pas aussi de La Menace fantôme d’ailleurs ?), il faut dire que cet inattendu Matrix Resurrections avait de quoi attiser la curiosité : non seulement cette suite à une saga hollywoodienne des plus expérimentales a su conserver tout son mystère, mais elle arrive en plus dans un contexte hollywoodien qui a tant évolué – et pas en bien – qu’elle retrouve presque une position d’outsider comparable au film original. En coulisses, ça faisait un moment que Warner faisait pression, envisageant de rebooter la franchise avec l’aide du scénariste Zak Penn (Ready Player One), avant que Lana Wachowski ne finisse par céder, Lilly se tenant désormais loin des plateaux de cinéma.
Si Neo manque plusieurs fois de chuter d’un immeuble dans le film, le spectateur tombe lui de très haut face à Matrix Resurrections. Troquant le syncrétisme culturel de ses prédécesseurs contre une satire poussive de Hollywood, c’est comme si la résistance de Neo se trouvait résumée au doigt d’honneur puéril qu’il tendait à l’agent Smith. Même si elle est présente à un niveau subatomique (Julien Abadie, auteur du livre Speed Racer : Les Wachowski à la lumière de la vitesse, remarquait dès la bande-annonce les manuels de techno-marketing présents dans la bibliothèque de l’analyste, augurant de l’opportunisme de ce quatrième volet), cette critique méta est terriblement triviale par rapport à l’ambition initiale de la saga. A une série de films exigeants, osant en demander beaucoup au spectateur et l’inviter à participer au sens de ce qu’il regarde, Matrix Resurrections fait succéder une blague sinistre, un aveu d’échec d’une rébellion réappropriée par le système, passant son temps à critiquer ce qu’il entreprend et finissant par se moquer du spectateur, défini comme un autre rouage de la machine (est-ce ce qu’il faut comprendre avec les personnes possédées par la matrice dont les codes informatiques envahissent les globes oculaires ?). Je comprends le ressentiment de Lana Wachowski face aux injustes échecs de sa carrière et l’évolution inquiétante de l’industrie, et même si ses intentions restent difficiles à cerner dans cette résurrection dont le cynisme ne lui ressemble pas, cela justifie-t-il de signer un retour si résigné qu’un tâcheron anonyme à la solde de Warner aurait pu aussi bien exécuter ?

En dehors de ça, de cette démonstration implacable de la faculté du capitalisme à absorber toutes ses contestations, Matrix Resurrections est un empilement de promesses non tenues et de pistes non explorées. Bien qu’il se serait idéalement marié avec les couleurs de la nouvelle matrice héritée de l’épilogue de Revolutions, le psychédélisme annoncé par l’usage de White Rabbit n’aura jamais lieu. La mise en abyme de la saga à travers les jeux vidéo de Thomas Anderson, pourquoi pas si elle allait au-delà de flashs incessants et inutiles des images des films précédents et si elle permettait un peu d’interactivité. On aurait aussi aimé s’attarder sur le monde réel qui n’est plus défini par l’opposition binaire entre hommes et machines, mais nous n’aurons droit qu’au jeu toujours aussi risible de Jada Pinkett Smith et aux gentils robots sortis d’un film familial. Nous ne pouvons que nous identifier à la profonde dépression de Neo, sauf que, contrairement à lui, nous pauvres spectateurs n’en seront jamais libérés. Le pire restant tout de même les scènes d’action ineptes, brillant par l’absence de Yuen Woo-ping et la démocratisation d’effets spéciaux qui ne sidèrent plus, osant citer les morceaux de bravoure du film original en les dévitalisant complètement, culminant avec la baston digne d’un film bis contre les programmes exilés menés par un effroyable Mérovingien définitivement atteint du syndrome de la Tourette ! Le seul charme que je retirerais du triste spectacle de Matrix Resurrections, c’est celui du couple Keanu Reeves et Carrie-Anne Moss dont les visages âgés irradient ce monde irréel. Mais même ce cadeau, on nous l’enlève sur le plan final où les doublures numériques des amoureux s’envolent comme des hirondelles sur des cieux artificiels, ultime image de la victoire totale de la matrice.
BASTIEN MARIE
Autre film de Lana Wachowski sur le Super Marie Blog : Cloud Atlas (2012)