
The Boy with Green Hair Film fantastique américain (1948) de Joseph Losey, avec Dean Stockwell, Pat O’Brien, Barbara Hale et Robert Ryan – 1h22
Dans le commissariat d’une petite ville américaine, le docteur Evans, pédopsychiatre, parvient à s’entretenir avec Peter, garçon mutique au crâne rasé. Ce dernier lui raconte son histoire : orphelin de guerre ayant enchaîner les maisons d’accueil, Peter a fini par être accueilli chez Gramp, un artiste de music hall. Tout se passait enfin pour le mieux jusqu’à ce que, inexplicablement, les cheveux de Peter deviennent verts, provoquant les moqueries de ses camarades de classe et la méfiance des adultes…
L’affiche nous priant de ne pas révéler pourquoi les cheveux du garçon sont verts, nous vous prévenons donc que cet article peut contenir des spoilers… même si depuis 1948 y a prescription, non ? Merci de votre compréhension.
Après une longue expérience du théâtre, Joseph Losey, futur réalisateur césarisé de Monsieur Klein (1976), obtient de la RKO de tourner à 39 ans son premier long-métrage, Le Garçon aux cheveux verts, curieuse fable antimilitariste que n’aurait pas renié son dramaturge fétiche, Bertold Brecht. Pour raconter les mésaventures de son jeune orphelin de guerre, Losey veut quasiment faire un home movie, tourné en quelques jours en 16mm. Si le tournage fut effectivement rapide, la production imposa toutefois au réalisateur de revoir ses exigences techniques à la hausse et d’opter pour du 35mm et en Technicolor, tout indiqué quand on a un personnage avec des cheveux verts. Celui-ci est joué par Dean Stockwell, 12 ans, issu d’une famille de comédiens et qui obtient ce premier rôle d’envergure en remplaçant au pied levé un enfant star de l’époque venant de choper la varicelle (les carrières hollywoodiennes tiennent parfois à peu de chose…). Malheureusement pour Losey, le temps qu’il finisse son film, la RKO a été rachetée par Howard Hughes qui, en profond désaccord avec le message pacifiste du métrage, bloqua sa sortie pendant plusieurs mois pour tenter de le remonter en vain. Il ira même jusqu’à convoquer Dean Stockwell dans son bureau pour le convaincre d’enregistrer un monologue à la gloire de l’armée américaine, ce que refuse catégoriquement l’enfant… qui se retrouvera à jouer Hughes bien des années plus tard dans Tucker (1988) de Francis Ford Coppola. Le Garçon aux cheveux verts finit donc par sortir inchangé mais avec sans doute peu de succès puisqu’il fallut attendre le 10 février 1967 pour le voir sur les écrans français, une fois le nom de Losey régulièrement cité dans les compétitions cannoises et vénitiennes. A noter également que le film contient le titre Nature Boy qui devint le standard maintes fois repris, de Nat King Cole à David Bowie, en passant par l’ouverture de Moulin Rouge ! (dans lequel c’était la fée qui était verte…).
Le Garçon aux cheveux verts est donc une fable curieuse ayant a priori peu à voir avec les œuvres ultérieures de Joseph Losey. Le film commence dans l’austérité d’un commissariat où se retrouve le jeune Peter rasé, Dean Stockwell adoptant le regard dur et le visage fermé d’un garçon déjà coutumier de la méfiance. Arrive alors le pédopsychiatre auquel Robert Ryan prête sa gueule cabossée d’ancien boxeur familier des films noirs, et qui n’a là visiblement pas son pareil pour gagner la confiance des enfants au prix d’un milkshake et d’un burger. Ainsi sustenté, Peter débute alors son récit et nous voilà arrivés dans la joyeuse bourgade américaine filmée dans un Technicolor baveux (la qualité du DVD étant peut-être à mettre en cause) faisant penser à un film live Disney daté. Impression renforcée par le numéro de music-hall, trop coloré pour être honnête lui aussi, du brave Gramp (Pat O’Brien), qui sert à expliciter la subjectivité de ce récit donné par un garçon de 12 ans. Camaraderie rapidement acquise dans la cour de récré, sourire attendri de la jolie institutrice (Barbara Hale), bonhommie des commerçants – laitier, épicier, barbier, médecin – ébouriffant chacun leur tour les cheveux du garçonnet : l’insouciance provinciale de pub Kinder en deviendrait par trop acidulé si Losey ne ramenait pas de la gravité au tableau avec la révélation pour Peter qu’il est un orphelin de guerre. Le garçon prétend qu’il le savait déjà et, comme une persistance visuelle de ce deuil négligé, voilà que ses cheveux deviennent verts le lendemain, aberration chromatique venant troubler le parfait équilibre de la bourgade.

Rejeté par tous, Peter (joué par un Stockwell très sérieux, ce qui aide à digérer la très grosse suspension d’incrédulité) voit ensuite l’apparition d’autres orphelins de guerre fantasmés qui lui disent que ses cheveux sont le symbole de la violence de la guerre et qu’il doit prévenir le monde (à l’exception notable de l’Allemagne et du Japon) de renoncer aux conflits. S’il était très attaché au propos anti-discrimination de sa fable, lui inspirant une séquence édifiante où l’institutrice fait avec détachement le compte des différentes couleurs de cheveux de sa classe pour calmer tout le monde, Joseph Losey était en revanche peu convaincu par ce versant pacifiste effectivement poussif. Mais le film assume l’artificialité inhérente à ce genre de récit (tel que l’indique le personnage de Ryan à la fin : il doute que les cheveux du garçon aient été vraiment verts mais il comprend ce qu’il a voulu lui raconter, et c’est là le principal) et il se montre particulièrement efficace dans ses moments les plus violents, en particulier la tonte chez le barbier avec les gros plans oppressants sur le visage de Peter symbolisant le regard des autres, progressivement honteux de cet instant qu’ils ont provoqué. Même s’il semble avoir été conçu pour passer la pommade sur les séquelles du récent conflit mondial, Le Garçon aux cheveux verts prophétise surtout les effets plus insidieux et la paranoïa latente d’une autre guerre à venir et qui sera froide. La preuve malheureuse : Losey, son scénariste Ben Barzman et son producteur Adrian Scott figureront tous les trois sur la liste noire du maccarthysme quelques années plus tard, les poussant à l’exil au Royaume-Uni. La joyeuse artificialité du Technicolor plombée par la noirceur d’un contexte bien réel, c’est ce qui fait la force d’une fable telle que Le Garçon aux cheveux verts, finalement moins proche de Disney que de la SF angoissante des années 50.
BASTIEN MARIE