Utu

Western maori néo-zélandais (1983) de Geoff Murphy, avec Anzac Wallace, Kelly Johnson, Bruno Lawrence, Wi Kuki Kaa, Merata Mita, Tim Elliot, Ilona Rodgers – 1h48

En 1870 en Nouvelle-Zélande, Te Wheke est éclaireur pour l’armée coloniale de l’Empire britannique. Alors qu’une patrouille le ramène dans son village, il découvre que les siens ont été massacrés par l’armée qu’il sert. Te Wheke, fou de rage, se révolte, tuant les deux soldats qui l’accompagnent, et rassemble autour de lui des partisans maoris pour lancer une véritable guérilla contre les « Pakehas » (les colons blancs), réclamant une vengeance, »Utu », qui rééquilibrera la balance.

Si dans les années 90, Peter Jackson, Jane Campion et Lee Tamahori semblent avoir fait de la Nouvelle-Zélande une terre de cinéma, on peut pourtant remonter quelques années auparavant pour lui trouver d’autres origines. Si Hinemoa, réalisé en 1914 par George Tarr et contant une légende maori, est considéré comme le premier film néo-zélandais, la production cinématographique du pays reste marginale jusqu’à la fin années 70. En effet, en 1978, année où le Parlement créera la New Zealand Film Commission, Sleeping Dogs, réalisé par l’australien Roger Donaldson, révélant Sam Neill en rôle principal et comptant aussi Warren Oates dans sa distribution, est le premier film à vraiment attirer l’attention au delà de l’archipel. En 1981, Goodbye Pork Pie connait un véritable succès qui permet à son réalisateur, Geoff Murphy, de réunir un budget confortable, le plus important pour le pays à l’époque, pour ce qui sera souvent considéré comme le premier grand film néo-zélandais : Utu.

Avec ce véritable western néo-zélandais, Geoff Murphy ambitionne d’évoquer toute une page de l’histoire de son pays en s’inspirant pour son héros Te Wheke de Te Kooti, chef de tribu et fondateur de la religion Ringatu qui dirigea les maoris dans une guerre qui portera son nom et marqua la fin d’une série de conflits qui frappèrent l’archipel entre 1845 et 1872. Te Kooti fut lui aussi engagé militairement auprès des pakehas avant d’être emprisonné suite à des accusations d’espionnage. C’est d’ailleurs du bagne qu’il lança sa révolte. Rien de tout ça ici, Geoff Murphy optant pour une rébellion plus brutale et préférant à l’exposé historique rigoureux un véritable récit de vengeance évoquant forcément le western américain.

Pour incarner le leader maori Te Wheke, Goeff Murphy engage Anzac Wallace qui, s’il n’a aucune expérience en tant qu’acteur, a déjà pu user de son charisme en tant que délégué syndicale. Et, vu sa performance, on se dit que certains patrons ont du se chier dessus ! Dès son pétage de câble initial, puis recevant, impassible, ses tatouages tribaux sur son visage lors d’un très beau générique, Anzac Wallace fait déjà forte impression. Il sera carrément impressionnant lors de la scène suivante, alors qu’il interrompt un pasteur lancé dans un prêche montrant la chrétienté sous ses aspects les plus impitoyables pour l’assassiner à coup de « pātītī » (le tomahawk maori) dans la tronche avant d’exprimer à l’assemblée sa soif de vengeance. Nul doute que le message est bien passé !

S’attaquant ensuite à un couple de colons dans une scène de siège d’une efficacité redoutable où Goeff Murphy fait preuve de sa véritable maestria, Te Wheke, usant des impressionnantes grimaces maories encore célébrées aujourd’hui dans le Haka des All Blacks et qui, combinées à ses tatouages, lui donne des allures de démon vengeur, se fait un nouvel ennemi en la personne de Williamson (excellent Bruno Lawrence), laissé pour mort et qui pense que le chef maori a tué sa femme. Le colon de base plutôt philosophe se mute en guerrier, se lançant à son tour dans une quête vengeresse, confectionnant au passage un tromblon à quatre canons de toute beauté ! Cette spirale de vengeance qui embrasse le pays ne prend fin qu’avec l’arrestation de Te Wheke, dont le destin dévie à nouveau de celui de son modèle Te Kooti, et son procès au milieu de la forêt par un tribunal militaire. On comprend alors pourquoi Tarantino a pu qualifier le film de « meilleurs films néo-zélandais de tous les temps » tant cette scène a du l’inspirer pour le monologue sur la justice de Tim Roth dans Hateful Eight. En effet, dans ce final théâtral et théorique, éclairé à la torche, Geoff Murphy livre une véritable réflexion sur la justice, alors que les différents partis se disputent le rôle du bourreau qui infligera à Te Wheke sa sentence. C’est finalement le maori Wiremu qui s’acquittera de cette tache après avoir convaincu l’auditoire qu’il était le seul à pouvoir rendre justice du bras le plus impartial possible.

Empruntant donc au cinéma américain pour rendre compte d’une histoire locale peu représentée sur grand écran, Geoff Murphy livre un western fou qui rivalise avec la classe de chefs-d’œuvre du genre, préférant pour le coup viser une forme de neutralité plutôt que de réaliser un pamphlet anticolonialiste comme le firent les réalisateurs du Nouvel Hollywood. Aussi, à voir sa mise en scène, particulièrement dynamique lors des scènes d’actions endiablées, nul doute que le cinéaste ait pu avoir une grande influence sur un jeune cinéphile local qui l’engagera plus tard comme réalisateur seconde équipe sur son colossal projet d’adaptation de Tolkien. Il faut rappeler que, sur un tel tournage simultané de trois blockbusters comme fût Le Seigneur des Anneaux, un tel poste est loin d’être à négliger. N’empêche, en revoyant ce flamboyant Utu, on aurait aimé le retrouver à la tête d’un projet à lui, ses derniers films « notables » restant Piège à grande vitesse et Fortress 2… Mais bon, en amateurs de post-apo (et des Rolling Stones !), on ne sera probablement pas sans vous reparler, que ça soit pour son Dernier Survivant ou pour son Freejack, de Geoff Murphy…

CLÉMENT MARIE

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