La Nuée

Film d’horreur français (2020) de Just Philippot, avec Suliane Brahim, Sofian Khammes, Marie Narbonne et Raphael Romand – 1h41

Se retrouvant à devoir gérer seule l’exploitation agricole de son défunt mari, Virginie se lance dans l’élevage de sauterelles comestibles. Les dettes s’accumulent mais, à la suite d’un accident, Virginie découvre que ses insectes sont beaucoup plus productifs une fois devenus carnivores…

Depuis le temps qu’on se plaint du cinéma de genre en France, notre cher CNC national nous a enfin entendus et, suite au succès public et critique de Grave, a décidé de monter une commission pour subventionner le cinéma de genre. Produit et distribué par The Jokers (également derrière Teddy, on ne peut pas dire qu’ils n’essaient pas !), La Nuée est le premier film à bénéficier de cette aide, à partir d’un scénario de Jérôme Genevray et Franck Victor lui-même sorti d’une résidence d’écriture pour film fantastique organisée par SoFilm. Confié à Just Philippot, dont c’est le premier long-métrage, avec un casting de milliers de sauterelles quand elles ne sont pas remplacées par les effets spéciaux de Digital District, La Nuée a ensuite été sélectionné à la Semaine de la critique de Cannes (exactement comme Grave) avant de remporter à Gérardmer les prix de la critique et du public. Un accueil unanime semble-t-il, une nuée de spectateurs satisfaits dont les Super Marie, forcément, vont vouloir se distinguer.

Bien que nous soyons fans de Grave et toujours prompts à le défendre auprès de ceux qui ne le considèrent que comme un film d’horreur de salon mondain, on ne nous enlèvera pas de la tête qu’une commission CNC visant à promouvoir le cinéma de genre, consécutif au miracle de Julia Ducournau, nous apparaît comme une très mauvaise idée par définition, tendant à institutionaliser des films essentiellement contestataires. Nous tenons désormais la preuve par l’exemple avec La Nuée, portant en lui ce paradoxe génétique de film d’horreur subventionné. Sans remettre en question les louables intentions de Just Philippot et ses scénaristes, qui me permettent même pour ma part d’outrepasser les nombreux problèmes de leur ouvrage, on se retrouve avec un film qui, à force de vouloir ménager les attentes de chacun et à se montrer présentable dans les différentes castes du cinéma français, finit par ne plus vraiment savoir ce qu’il est et à qui il s’adresse : est-ce un film d’horreur traitant d’un sujet social pour faire « sérieux » et introduire incognito le lecteur de Mad Movies dans les hautes sphères du film d’auteur, ou bien un drame social ajoutant quelques scènes sanglantes pour persuader le lecteur de Télérama qu’il s’acoquine au ciné d’exploitation ? Vous me direz que toutes ces considérations péremptoires, présupposant des postures que les auteurs n’ont peut-être pas, sont périphériques au film même dont je n’ai encore que peu parlé. J’en conviens volontiers, même s’il me semble que cela dénote d’une industrie cinématographique française dangereusement clivée et repliée sur elle-même (ou self-conscious comme disent les ricains), et que c’est consécutif de la tenue très inégale de La Nuée.

Virginie Hébrard (Suliane Brahim) se tient derrière la bâche de son élevage de sauterelles, dans le flou d’un film qui ne sait plus s’il est un drame social ou une fable horrifique…

Au départ, l’idée est pourtant bonne, le territoire à explorer judicieusement choisi, avec ses insectes carnivores comme métaphore d’un capitalisme rural dévorant, un peu comme les insectes géants exorcisaient la peur du nucléaire outre-Atlantique dans les années 50 (toutes proportions gardées, bien sûr). Jusque dans les plus petits rôles (comme le bully transi joué par le jeune Victor Bonnel de L’Heure de la sortie), les acteurs sont très justes et en particulier Suliane Brahim (de la Comédie Française) qui, dans son rôle de mère célibataire battante se saignant – littéralement – au travail, m’a fait penser à la Barbara Hershey de L’Emprise (et ce n’est pas un petit compliment !). Le problème, c’est que le scénario, mal fagoté, tire tellement à la ligne que l’argument fantastique devient accessoire, nous laissant avec la fâcheuse impression que La Nuée pourrait parler strictement du même sujet sans être un film d’horreur. Que ce soit dans le drame familial ou l’horreur – avec pourtant de belles velléités : quand la nuée fond sur ses victimes, quand Virginie se retrouve recouverte de ses insectes sous le regard horrifié de sa fille, la persistance de la stridulation des sauterelles alors que habituellement c’est plutôt quand ça s’arrête qu’il se passe un truc inquiétant – chaque séquence semble désamorcer celle qui a précédé, ce qui rend forcément la progression dramatique particulièrement inefficace. Le tout jusqu’à une séquence finale – imposée par le distributeur selon Philippot – abrupte et frileuse. Encore un prototype imparfait de film d’horreur français donc, on s’y était habitué avant que le CNC y fourre son nez. Alors si vous pouviez subventionner un film plus radical la prochaine fois…

BASTIEN MARIE

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