
Comédie française, belge (2020) de Laurent Tirard, avec Benjamin Lavernhe, Sara Giraudeau, Julia Piaton, Kyan Khojandi, François Morel et Guilaine Londez -1h27
Attendant fébrilement un message de sa copine Sonia dont il encaisse comme il peut le break qu’elle a imposé à leur relation, Adrien apprend à un repas de famille qu’il devra faire un discours au mariage de sa sœur…
J’ai appris l’existence du Discours lors de l’annonce de sa sélection au festival de Cannes 2020. Un festival virtuel suivi d’un reconfinement qui fermait les portes des cinémas au nez du film de Laurent Tirard mais gardait ouvertes les librairies pour mettre la main sur le roman de Fabrice Caro. Du coup, pour une fois, j’ai lu le bouquin, un monologue intérieur de son protagoniste condamné au discours de mariage, découpé en courts chapitres faisant ressembler le roman à des chroniques. Une lecture très amusante mais qui tend aussi de nombreux pièges de comédies françaises à quiconque voulait l’adapter. Ce quiconque, c’est donc Laurent Tirard qui, lui aussi très amusé par le roman, y trouve l’occasion de faire selon ses termes un « second premier film », moins coûteux et attendu qu’un Petit Nicolas (2009), Astérix & Obélix au service de Sa Majesté (2012) ou Le Retour du héros (2018). Et pour jouer Adrien, le réalisateur a la bonne idée d’engager Benjamin Lavernhe de la Comédie Française, lui qui s’est principalement fait connaître avec son rôle de jeune marié dans Le Sens de la fête où il donnait un discours interminable.
Heureusement, son personnage est beaucoup moins ennuyeux et prétentieux dans Le Discours. Adrien est un amoureux transi et angoissé par la pause de sa compagne, un homme discret paniqué à l’idée de faire un discours en public mais incapable de se taire à l’écran, où il s’adresse continuellement et directement à nous, spectateurs, sixième invité de ce triste repas de famille. Benjamin Lavernhe y est pour beaucoup dans la sympathie éprouvée devant ce Discours où il s’empare aisément du dialogue conséquent et parvient à rester attachant malgré l’ironie omniprésente parce qu’il sait rendre terriblement communicatifs les angoisses, appréhensions, questionnements et agacements de son personnage. Le comédien se révèle donc idéal et déjoue à lui seul le piège de la suffisance que peut avoir ce genre de numéro de stand-up cinématographique. Pour le reste, Laurent Tirard se repose beaucoup sur le texte de Fabcaro, adapté avec une drôlerie ingénieuse en tentant d’éviter le piège de la voix off forcenée. Du coup, quand on aura lu le livre, on aura peu de surprises devant le film qui devrait s’avérer rafraîchissant à ceux qui ne l’auront pas lu.

Pour se hisser à hauteur de la verve de Fabcaro, Tirard use de tous les effets de mise en scène possibles : il brise le quatrième mur, fait tomber les cloisons du décor, dédouble ou fige ses acteurs, met en abyme les artifices comme cette musique mélancolique jouée par un pianiste intradiégétique, etc… Une bonne façon de rester fidèle à la prose du livre, d’user d’un même sens du running gag et de dynamiser un « récit » qui n’est en fait qu’un flot de pensées. Ca offre au Discours, ne tenant pas en place, passant très vite à autre chose, une belle énergie, faisant par exemple qu’un gag qui ne marche pas forcément la première fois peut très bien faire mouche plus tard. Cependant, le rythme est trop soutenu et le film menace souvent d’être en surrégime et de nous perdre dans les méandres des pensées d’Adrien (un peu comme le rat perdu dans le labyrinthe de l’anecdote du père). Et puis à force d’afficher ainsi sa mise en scène, Le Discours en perd en incarnation, atteignant une limite que le livre ne connaissait pas. La forme de chronique en courts chapitres du roman lui permettait d’avoir des personnages ou situations relevant de l’esquisse ou du stéréotype, alors que le film, devant faire jouer ces mêmes personnages et situations, doit y apporter une plus grande attention. Du coup, certains gags, comme la sodomie de Solène par exemple, en deviennent moins percutants, les personnages secondaires s’en trouvent sacrifiés et certains aspects, comme le lien durablement rompu entre Adrien et sa famille, ne demandent qu’à être épaissis, jusqu’à un épilogue qui diffère de celui du livre sans apporter grand chose de plus. L’adaptation est fidèle, ce qui suffit à faire du Discours un film amusant, mais elle aurait gagné à réinventer.
BASTIEN MARIE