Peggy Sue s’est mariée

Peggy Sue Got Married Comédie fantastique américain (1986) de Francis Ford Coppola, avec Kathleen Turner, Nicolas Cage, Barry Miller, Catherine Hicks, Joan Allen, Kevin J. O’Connor et Jim Carrey – 1h43

En 1985, venant de se séparer de son mari et grand amour de jeunesse Charlie, Peggy Sue se rend à la fête des anciens élèves de son lycée. Elue reine de la soirée, elle s’évanouit et se réveille à l’infirmerie du lycée, en 1960…

Je ne vous apprends rien en disant que la carrière de Francis Ford Coppola est pleine de pépites s’oubliant un peu dans l’ombre de ses films monumentaux des années 70. Peggy Sue s’est mariée est l’une d’elles, récemment rééditée par Carlotta dans une édition collector paraît-il déjà épuisée. Criblé de dettes à cause de son Coup de cœur (qu’il finira de rembourser avec le succès de son Dracula en 1992), Coppola accepte ici une commande de Tristar Pictures avec cette histoire de retour dans le temps produite dans le sillon du succès de Retour vers le futur l’année précédente. Le film devait à l’origine être réalisé par Penny Marshall (Big) et interprété par Debra Winger (Tendres passions), mais l’actrice dut y renoncer à cause d’un accident de vélo et la réalisatrice fut virée par la production, estimant le budget trop élevé pour une débutante. Venant de tourner le court-métrage Captain EO pour Michael Jackson, Coppola s’acquitta donc de la commande mais pas du tout à contrecœur : il adorait le script qu’il filma quasiment tel quel, y ajoutant quelques souvenirs personnels et ne biffant que quelques éléments où Peggy Sue tentait d’améliorer l’avenir de personnes de son entourage. C’est Kathleen Turner qui hérita du rôle principal, l’un des plus beaux de sa carrière, et de son unique nomination aux Oscars. Son mari Charlie est joué par Nicolas Cage qui est arrivé sur le tournage avec de fausses dents et une voix inspirée d’un personnage de cartoon : tonton Francis faillit le virer mais Cage parvint d’une manière ou d’une autre à le convaincre, lui expliquant sans doute qu’il s’agissait là des prémisses du kabuki western, sa propre méthode d’acting dont il est encore aujourd’hui le seul adepte ! Et puis il y a aussi Jim Carrey, ce qui ferait une bonne question de Trivial Pursuit : dans quel film de Francis Ford Coppola Jim Carrey a-t-il joué ? Pas évident…

Sur le tournage, Francis Ford Coppola dirige ses acteurs : « Kathleen, c’était super, mais Nicolas, on peut savoir ce que tu fous ?! »

Peggy Sue s’est mariée est un grand petit film de Francis Ford Coppola (en même temps, quand on enchaîne Le Parrain et Apocalypse Now si tôt dans sa carrière, les films suivants sont presque condamnés à rester petits), une comédie nostalgique émouvante comme une réponse pastelle et enchantée au Technicolor flamboyant du dramatique Outsiders sorti trois ans plus tôt. Un film fantastique aussi parce que retour dans le temps, même si Coppola s’intéresse moins aux moyens de ce retour qu’aux sentiments de celle qui en fait l’expérience. Donc pas de Delorean volante ici, juste un songe comateux dont la question de savoir si c’était réel ou fantasmé importe peu. Si le fantastique est discret, il n’est pas pour autant négligé, et Coppola laisse ici et là quelques savoureuses étrangetés comme le ballon d’hélium qui semble avoir suivi Peggy Sue dans son voyage. Ou le plan d’ouverture, déjà fabuleux, filmé à travers le miroir alors que Peggy Sue se prépare à sa soirée d’anciens élèves. La situtation s’impose pour ouvrir un film qui amènera à faire le bilan d’une vie, mais un élément du plan en particulier contribue à en faire un instant magique. Sur le plateau, afin de ne pas voir l’équipe technique dans le miroir filmé de front, Kathleen Turner jouait le reflet de Peggy Sue tandis que la vraie Peggy Sue se tenant devant le miroir est une doublure. Or les gestes de Turner et de sa doublure ne sont pas tout à fait synchrones, révélant l’artifice. A la fois discrète et criante, cette « bourde » (volontaire ou non, peu importe, c’est du génie !) introduit l’inquiétante étrangeté du fantastique qui va suivre quelques minutes plus tard et incarne déjà l’altérité, la vie parallèle que Peggy Sue va se voir offrir en retournant dans le passé. Une imperfection rendue signifiante, une erreur miraculeuse qu’il sera bon de garder en mémoire et de ressortir la prochaine fois qu’on tombera sur quelqu’un voulant condamner un film uniquement sur des considérations techniques.

Comme nous le souffle l’éminent Jean-Baptiste Thoret dans les bonus : « Peggy Sue s’est mariée est, comme tous les films que réalise Coppola au cours des années 80, hanté par la question de l’innocence perdue. » C’est effectivement ce qui prime dans la reconstitution qui revient en 1960 aux derniers moments d’une Amérique insouciante, avant l’assassinat de Kennedy, la guerre du Vietnam ou le scandale du Watergate, sombres événements que Peggy Sue se garde bien de raconter à ses camarades, et qui ont alimenté le Nouvel Hollywood et les films de Coppola. Ce dernier suit donc le mouvement du cinéma américain des années 80 qui, accompagnant la restauration glorieuse des Etats-Unis par Reagan, renouvelle les genres et l’esthétique de l’âge d’or hollywoodien (ici, en l’occurrence, la comédie de remariage). On s’amuse donc de l’euphorie avec laquelle Peggy Sue revisite son passé, entonnant l’hymne américain avec une ferveur qui étonne ses camarades de classe, renouant avec sa petite sœur (Sofia Coppola, qui fera de Kathleen Turner la maman de Virgin Suicides) avec un enthousiasme que celle-ci trouve immédiatement suspecte. Peut aussi survenir de manière aussi spontanée une soudaine et profonde émotion, quand par exemple Peggy Sue réentend la voix de ses grands-parents au téléphone – une courte séquence qui sera éprouvante pour Turner qui, vivant intensément le rôle, se mettait aussi à rêver de ses propres grands-parents au moment de la production. Ce réenchantement du quotidien, ces objets ou événements devenant extraordinaires du fait même de leur banalité, sont sans doute ce qui a charmé Coppola dans le scénario et convaincu de pouvoir transmettre au spectateur cette faculté de pouvoir s’émerveiller d’un rien. C’est chose faite avec une mise en scène simple mais illuminée par la photo du grand Jordan Cronenweth, réanimant ces cartes postales d’Americana, où un trajet quotidien en voiture devient une formidable odyssée, où le petit concert d’un groupe de lycéens devient aussi exaltant que si c’était les Beatles sur scène.

En 1985, Peggy Sue (Kathleen Turner) tente de se cacher de son passé avant que celui-ci ne la rattrape.

Malgré ce qu’en désirerait Peggy Sue, le retour en arrière ne provoque pas de grands changements. L’héroïne ne fait que des modifications minimes : une aventure d’un soir avec le beatnik ténébreux qui aurait sans doute mieux fait de ne rester qu’un fantasme, un peu de temps passé et de coups de pouce donnés au geek du lycée qui va réussir de toute façon (et qui aurait pu s’appeler Steven Spielberg). Revenant à ses seize ans dans le corps d’une femme de quarante, Peggy Sue voit en fait au futur antérieur et, trop émerveillée par ce passé nostalgique pour le changer drastiquement, elle préfère profiter du voyage temporel pour réparer le présent et sauver son mariage qui lui a donné deux enfants qui lui manquent tant. Après tout, le film s’appelle Peggy Sue s’est mariée (inspiré d’une chanson de Buddy Holly ouvrant le film comme si tout y était déjà programmé), c’est un fait et, pour en avoir le cœur net, elle se marie même deux fois, au même homme, Charlie. Ou est-ce vraiment le même homme, car Charlie aussi profite du rembobinage. D’abord surpris par la distance de sa Peggy Sue lui reprochant une infidélité qu’il n’a pas encore commise, Charlie se montre sous un nouveau jour et révèle une complexité derrière son costume d’aspirant rocker et de vedette du lycée dont il craint d’ailleurs qu’il lui colle à la peau. Peggy Sue le redécouvre, apprend de nouvelles choses sur lui et prend la décision, émouvante, de refaire le même choix. Encore une fois, la mise en scène de Coppola reste simple dans l’accompagnement de ces sentiments denses, mais les excentricités de son neveu Cage s’expliquent enfin : sa voix de cartoon et son jeu forcé incarnaient la désillusion de Peggy Sue à l’égard de Charlie mais, parvenant à nous toucher malgré cela, Cage incarne aussi ce nouveau regard sur un mari moins univoque qu’il n’y paraît. Voyez donc que malgré la légèreté de cette évocation solaire des 60’s, rare chez l’homme sans âge Coppola, Peggy Sue s’est mariée n’en est pas moins profond et émouvant, autre trésor d’une filmographie qui en compte beaucoup.

BASTIEN MARIE

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