Mark Dixon, détective

Where the Sidewalk Ends Film noir américain (1950) d’Otto Preminger, avec Dana Andrews, Gene Tierney, Gary Merrill, Bert Freed, Tom Tully et Karl Malden – 1h35

Fils de gangster, Mark Dixon est un inspecteur réputé pour sa brutalité lui valant les foudres de sa hiérarchie. Lors d’un interrogatoire musclé, il tue accidentellement un suspect. Pour s’en sortir, il va tenter de faire porter le chapeau à Tommy Scalise, un parrain de la pègre…

Mark Dixon, détective est l’avant-dernier film qu’Otto Preminger tourne pour la Fox de Darryl F. Zanuck, collaboration un peu houleuse qui avait commencé six ans plus tôt avec l’acclamé Laura, sur lequel Zanuck avait engagé Preminger à contrecœur en remplacement de Rouben Mamoulian. Le réalisateur revient au film noir qui a fait sa renommée en adaptant le roman Night Cry de William L. Stuart qu’il a repéré deux ans plus tôt et dont il commande un premier traitement au célèbre scénariste Ben Hecht (Les Enchaînés), qui sera réécrit pour corriger quelques incohérences, pour atténuer l’homosexualité et la toxicomanie de Tommy Scalise (qui restent tout de même bien suggérées) et, à la demande de Zanuck, pour étoffer le passé de Dixon et en faire un fils de gangster. Preminger retrouve ensuite sa dream team de Laura : le monteur Louis Loeffler, le chef op oscarisé Joseph LaShelle, et surtout son couple de stars Dana Andrews et Gene Tierney, cette dernière faisant aussi engager son styliste de mari Oleg Cassini aux costumes.

Dans l’ombre de Laura, Mark Dixon, détective est un autre grand film noir d’Otto Preminger. Il en signera deux autres par la suite (La Treizième Lettre en 1951, remake du Corbeau de Clouzot et son dernier film pour la Fox, puis Un si doux visage en 1952 pour la RKO) mais celui-ci est particulièrement remarquable pour la petite lueur d’espoir qu’il laisse dans la noirceur du genre. Le principal intérêt du film réside dans l’ambiguïté de son protagoniste Mark Dixon (ou son of a dick ?) dont la malencontreuse bavure va l’amener à se confronter à son passé et ses origines. C’est donc une très bonne idée qu’a eu Zanuck d’en faire un fils de gangster et l’héritier d’une violence intérieure avec laquelle le personnage va devoir composer. C’est peut-être aussi une provocation du producteur à son réalisateur, réputé pour être tyrannique sur ses tournages (apparemment, c’est Karl Malden, dans son premier rôle d’importance juste avant Un tramway nommé désir, qui en a fait les frais sur celui-ci). En tous cas, cette filiation problématique, surgissement du tragique propre au film noir, apporte beaucoup de profondeur au protagoniste, dont on se demande s’il est flic pour s’opposer à la réputation de son père ou pour se trouver une légitimité prétexte à la violence dont il a hérité. Dans le rôle de Dixon, Dana Andrews montre une impassibilité qui peut d’abord paraître un peu forcée mais qui s’effrite à mesure qu’il se confronte à son passé (culminant dans la jolie scène de la rédaction de sa lettre d’aveux) et aux conséquences de ses malversations pour s’innocenter (ironiquement, il est sur le point de faire condamner à sa place un chauffeur de taxi qui est le seul personnage du film à le considérer comme un bon flic !).

Morgan Taylor (Gene Tierney) est aux petits soins de l’inspecteur Dixon (Dana Andrews) qui a encore dû tomber sur un suspect peu coopératif…

Avec son expérience évidente du genre (Mark Dixon, détective se déroule entièrement dans des intérieurs étouffants du quartier de Hell’s Kitchen à New York dans une ambiance nocturne soignée par Joseph LaShelle), Otto Preminger s’ingénie à piéger son héros dans ses contradictions, comme dans la meilleure scène du film difficile à décrire tant elle est diaboliquement bien écrite. Pour les besoins de l’enquête, Dixon est obligé de sortir dans la rue en portant les habits de la victime, comme il l’a déjà fait plus tôt dans la soirée pour faire croire que la victime, qu’il avait déjà tué, avait quitté son appartement. Cette mise en scène a pour but de révéler à la logeuse Mrs Tribaum, seule témoin de l’affaire, qu’elle avait vu plus tôt non pas la victime mais le suspect. Elle reconnaît effectivement avoir vu le suspect mais ne reconnaît pas Dixon en tant que tel, ce qui a pour effet de faire peser les soupçons sur un innocent. Vous n’avez rien compris à ma description de la scène ? Mince, il faudra que vous voyiez le film, mais je vous assure que c’est brillant. Dans tous les cas, contrairement au roman d’origine qui condamne Dixon à une fuite éternelle, Preminger laisse au flic une porte de sortie dans le film grâce à Gene Tierney qui joue l’inverse d’une femme fatale. Mêlée dans les sales histoires à cause de son malfrat d’ex-mari, le personnage de Tierney séduit Dixon mais, plutôt que de le laisser sombrer dans sa fatalité, elle l’amène à reconnaître son passé et confesser son crime. Voilà pour la mince lueur d’espoir qui permettra à Dixon et Preminger de s’extirper des ténèbres du film noir…

BASTIEN MARIE

Autre film d’Otto Preminger sur le Super Marie Blog : Autopsie d’un meurtre (1959)

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