Drame français, belge (2020) de François Ozon, avec Félix Lefebvre, Benjamin Voisin, Philippine Velge, Valeria Bruni Tedeschi, Melvil Poupaud, Isabelle Nanty, Laurent Fernandez, Aurore Broutin et Bruno Lochet – 1h40
Au début de l’été 85, dans la ville côtière de Normandie où il vient d’emménager, Alexis est sauvé du chavirement de son bateau par David. Ce dernier lui offre un job d’été dans sa boutique de voile, et Alexis pense avoir trouvé l’ami de ses rêves…
Été 85 est le premier film à sortir en salles avec le logo de la sélection officielle du festival de Cannes 2020, festival qui n’a pas eu lieu. Rien de moins, rien de plus qu’un label qui laisse perplexe et qui nous fait manquer encore plus cruellement le festival annulé. Car si Cannes donne toujours le ton d’une année cinématographique, ce n’est pas tant par le nombre de films présentant la palme au début de la projection que par leur réception durant le festival, laissant une aura sur un long-métrage avant sa sortie, attendue ou redoutée, l’année qui suit. Privé de cette effervescence, le label devient orphelin de l’expérience qu’il recouvre et devient le signe d’une virtualité cruelle. Virtualité qui se retrouve dans la sélection de Thierry Frémeaux : libéré des contraintes de l’événement et du planning de projections, il a sélectionné beaucoup plus de documentaires et de premiers films qu’il ne l’aurait fait sur une « vraie » sélection et a enfin échappé au procès habituel des habitués (comme François Ozon dont c’est la quatrième sélection après Swimming Pool en 2003, Jeune & jolie en 2013 et L’Amant double en 2017). Frémeaux voulait afficher l’enthousiasme d’une célébration d’un cinéma toujours vivace, mais impossible d’oublier que le festival n’a pas eu lieu et que l’exploitation a pris un sacré coup dur…

Mais restons-en à Été 85. François Ozon adapte un roman d’Aidan Chambers, La Danse du coucou, qu’il avait découvert à l’époque du titre et à l’âge des protagonistes adolescents du film. Tournant alors des courts-métrages, Ozon, enthousiasmé par sa lecture, se dit que ça pourrait faire un super long et aura donc attendu toutes ces années et une filmographie déjà bien remplie pour se lancer dans ce qui devait être… Été 84. Sauf qu’en cherchant à acquérir les droits de la chanson In Between Days des Cure, Ozon reçut une lettre de Robert Smith lui faisant remarquer que ce n’était pas possible puisque la chanson n’était sortie qu’en 85 et il ne put l’obtenir qu’en changeant le titre ! Pour rester sur la BO, notons que la musique originale est signée Jean-Benoît Dunckel du groupe Air qu’Ozon a engagé après avoir découvert dans une interview qu’ils étaient tous deux fans du morceau Stars de la pub, également utilisée dans le film. Été 85 a été tourné en super 16 (le format des premiers courts du réalisateur) au Tréport en Normandie où les deux jeunes acteurs Félix Lefebvre et Benjamin Voisin ont été envoyés une semaine plus tôt pour sympathiser en faisant de la voile.
La lecture passionnée d’un adolescent est donc devenu le film d’un réalisateur établi et cette évolution du projet se ressent et fait même tout le charme d’Été 85. De la même manière que la chronique estivale est assombrie par une intrigue de thriller, tel le ciel orageux duquel apparaît David pour la première fois, Ozon explore le souvenir de l’adolescence avec un mélange d’amertume et de candeur qui nous refile un spleen plutôt agréable. Certes, la reconstitution 80’s, aussi réconfortante que partout ailleurs, doit en être pour quelque chose, du pastel granuleux du super 16 aux costumes tout en jean, bandanas et walkman, sans parler de l’enrobente BO qui nous rejoue également le Sailing de Rod Stewart. Le tout au service d’une romance teenage et estivale dont Ozon et nous rejouons encore une fois les images d’Épinal (le feu de camp sur la plage, le passage à la fête foraine, les escapades en mob cheveux au vent) : est-ce qu’on ne ressentirait pas, derrière l’éternelle relecture des amours adolescentes, la même passion morbide que le personnage principal ? Est-ce que cette nostalgie 80’s, un peu figée, guindée, ritualisée, ne serait pas la chambre funéraire de notre regard cinéphile ?

Quoiqu’il en soit, Ozon investit le genre en pleine conscience des nombreux films qui l’ont précédé, comme si tout réalisateur devait en passer par sa propre chronique adolescente, avant de voir poindre progressivement des thèmes et motifs récurrents du réalisateur : la relation élève/professeur de Dans la maison, le travestissement d’Une nouvelle amie, l’omniprésence du défunt de Frantz, etc. Peu à peu, la chronique s’emplit du cinéma de son auteur et rappelle l’essentielle et précieuse maturation de cet Été 85, permettant de traiter les tourments adolescents avec l’expérience d’un réalisateur chevronné, revenant aux origines de ses obsessions. Celui-ci retrouve la fougue de l’adolescent (très bien interprété par Félix Lefebvre et Benjamin Voisin filmés amoureusement par Ozon) mais en ayant une maîtrise apte à lui rendre justice, comme le prouve une sublime scène de danse qui, à mon avis, justifierait à elle seule la vision d’Été 85.
BASTIEN MARIE
Autres films de François Ozon sur le Super Marie Blog : Angel (2007) ; L’Amant double (2017) ; Grâce à Dieu (2019)