Conte américain, britannique, chinois (2019) de Quentin Tarantino, avec Leonardo DiCaprio, Brad Pitt, Margot Robbie, Emile Hirsch, Margaret Qualley, Timothy Olyphant, Julia Butters, Dakota Fanning, Austin Butler, Bruce Dern, Kurt Russell, Zoe Bell, Mike Moh, Luke Perry, Damian Lewis et Al Pacino – 2h40
A Hollywood en 1969, Rick Dalton, acteur de télévision sur le déclin, et Cliff Booth, son cascadeur et homme à tout faire, deviennent les voisins d’une starlette en pleine ascension, Sharon Tate…
Ça y est, le neuvième film de Quentin Tarantino est sorti en salles, et il faut en profiter car ce serait l’avant-dernier. Pas besoin de revenir sur la genèse de Once Upon a Time… in Hollywood qui a été religieusement suivie en ligne, chaque choix de casting étant annoncé en grandes pompes et relayé jusqu’à plus soif. Ni sur sa présentation à Cannes qui a ramené son lot de stars sur le tapis rouge et qui a été l’événement marquant d’une grandiose édition. Beau joueur, Tarantino s’est pointé à la clôture quand bien même il savait qu’il ne remporterait pas une seconde Palme d’or vingt-cinq ans après Pulp Fiction, et il paraît que le sacre de Bong Joon-ho pour Parasite l’a ravi. Sur la Croisette, Once Upon a Time… in Hollywood a reçu un accueil assez mitigé, mais comme Tarantino est un réalisateur dont le seul nom suffit à amener du monde en salles (il en reste donc au moins un), son neuvième film ne devrait pas avoir à s’inquiéter du box-office, faisant un honorable démarrage aussi bien aux States (50 millions de dollars en première semaine) qu’en France (1 132 000 entrées). Cependant, la cinéphilie est aujourd’hui ainsi faite qu’il n’est pas sûr qu’une telle exposition fasse du bien au film : depuis sa sortie, Once Upon a Time… in Hollywood se traîne déjà des polémiques absurdes (sur Bruce Lee, sur Sharon Tate ; à une époque où des masses se ruent sur un Disney qu’ils ont déjà vu, pas facile de plier la réalité à son imagination) et on a déjà entendu plus qu’à l’envi que le film est trop long et ne raconte rien.

Que le film soit trop long, on veut bien le concéder : on aurait facilement pu rabioter une demi-heure sans qu’il n’en souffre. Qu’il ne raconte rien, là en revanche, on ne va pas être d’accord, ne serait-ce que pour la simple et bonne raison que Quentin Tarantino ne s’est sans doute jamais autant raconté que dans ce film. Ce qui est sûr, c’est que Once Upon a Time… in Hollywood est un film d’errance, de balade, de stoner même, dans une reconstitution du Los Angeles 69 si soignée qu’elle permet au réalisateur de signer son film le plus beau visuellement. Forcément, générer une telle attente pour un film si languissant devrait en décevoir plus d’un, mais il offre de sacrées récompenses à qui se laissera languir. Et en premier lieu sa mise en scène donc, tout en mouvements de grue et caméra aérienne, trouvant une ampleur que le réalisateur n’avait touché auparavant qu’avec parcimonie. Dédié à embrasser sa reconstitution 60’s où il fait bon se balader, Tarantino a aussi parfaitement assimilé la pop culture de l’époque, imbibant le film sans être ostentatoire, que ce soit par la réminiscence de jingles ou pubs de l’époque, l’apparition de guests prestigieuses (dont un Bruce Lee que j’ai trouvé tout à fait ressemblant) ou l’évocation de films cultes plus discrète et digérée qu’à l’accoutumée (comme la visite à la ferme Manson, très Massacre à la tronçonneuse). Once Upon a Time… in Hollywood a le sens du détail pour créer son atmosphère moody, trop désinvolte et innocent pour paraître maniaque. Et ceux qui pensent qu’il ne s’y passe rien oublie un peu vite la fatalité chevillée au corps sublime de Sharon Tate…

Evidemment, le duo Leonardo DiCaprio/Brad Pitt, niveau suprême de classe américaine, fait beaucoup dans la sympathie du film. Les visages de l’acteur détraqué et du cascadeur un peu trop dangereux sont une autre ombre qui plane sur le film ensoleillé, alors que Hollywood cherche à se débarrasser d’eux. Le final réjouissant et révisionniste (beaucoup plus satisfaisant que celui d’Inglorious Basterds) leur rend justice, les mecs destinés à l’oubli devenant les héros du jour et allant saluer leur voisine Sharon Tate : les deux dimensions de l’industrie qui jusque-là chutaient et s’élevaient en parallèle se croisent enfin dans un plan final idyllique (et aérien aussi celui-là) qui assume le conte de fées annoncé par le titre. Un conte qui conjure la funeste année 1969 et que Tarantino raconte avec une nostalgie très mélancolique. Le réalisateur n’était alors qu’un gosse, et ça se sent dans sa façon de chérir les décors et la musique de sa bulle 60’s. Mais il semble aussi résigné à raviver les derniers feux d’une industrie et d’une (contre) culture qui n’a plus d’équivalent aujourd’hui. Il sait que plus aucun Rick Dalton et Cliff Booth ne traverse les boulevards de L.A. de nos jours, n’existant plus que dans la mémoire de quelques cinéphages qui ont dû perdre l’appétit depuis. Le massacre final semble alors très infantile, comme un gosse qui veut continuer à jouer coûte que coûte, qui veut remplacer la réalité par son monde imaginaire. Tarantino le fait avec toute la maîtrise accumulée au long de sa carrière et on espère que son uchronie enchantera le public au-delà de sa projection.
BASTIEN MARIE