Toy Story 4

Toy_Story_4_(affiche_officielle)_(3)Film d’animation américain (2019) de Josh Cooley, avec les voix de Tom Hanks, Tim Allen, Annie Potts, Christina Hendricks, Tony Hale et Keanu Reeves en VO et Jean-Philippe Puymartin, Richard Darbois, Audrey Fleurot et Pierre Niney en VF – 1h40.

Après avoir géré la transmission des jouets d’Andy à Bonnie, Woody se retrouve de nouveau confronté à l’oubli tandis que se joint au groupe un nouvel élément « fait main » : Fourchette. Un vrai défi pour notre cowboy, pourtant rompu à l’exercice de coacher de nouveaux jouets, et le début de nouvelles aventures qui le conduiront à retrouver une vieille connaissance en porcelaine qui se révèle vite bien moins fragile qu’il n’y parait… 

Attention, cet article contient des spoilers… 

 

Neuf ans (déjà) après un Toy Story 3 concluant à merveilles leurs aventures, Woody, Buzz et cie sont de retour avec ce quatrième volet déjà d’autant plus redouté que sa gestation fut chaotique. Alors que John Lasseter devait reprendre les rênes, après avoir confié son bébé le temps d’un film entre les mains bienveillantes de Lee Unkrich, le cinéaste, devenu directeur créatif de Disney, annonce qu’il se retire de la co-réalisation avant d’être pris, quelques mois plus tard, dans l’ouragan #metoo qui frappa Hollywood en 2017. Forcément, qu’un réalisateur libidineux se retrouve aux commandes d’un film annoncé comme une comédie romantique mettant à l’honneur un personnage féminin, ça la fout mal ! Rachida Jones, qui fût invitée en tant que co-autrice, quitte le navire dans la tourmente et, si elle explique que cela n’a pas à voir avec le comportement du réalisateur, elle confirme qu’il règne toujours chez Pixar une ambiance machiste, cinq ans après la production de Rebelle, censée faire évoluer les mentalités dans le studio, en vain. Cette fois-ci, le vent est trop fort et Lasseter, payant ses mains baladeuses et autres comportements et commentaires déplacés, est débarqué du projet, n’étant plus crédité qu’à l’histoire originale. Difficile alors de ne pas avoir le cœur pincé en voyant, dès le début de Toy Story 4, notre shérif Woody, alter ego de Lasseter, délaissé par sa nouvelle propriétaire Bonnie et contraint de céder son étoile à la cow girl Jessie. Néanmoins, passée l’amertume, force est de constater que Pixar reste un studio hors normes capable, un an après Les Indestructibles 2 ayant également connu un development hell, de déjouer les pièges de la suite de trop en nous offrant un quatrième flamboyant tour de piste.

Ce qui ne te tue pas te rend plus fort et le féminisme du projet, qui a bien failli le conduire à sa perte, apparaît ici autrement mieux digéré que dans des Wonder Woman, Captain Marvel et autres Ocean 8, des films tellement tiédasses et hyper-marketés qu’ils pourraient presque en devenir contre productifs. Plutôt que d’inventer une nouvelle héroïne ou de casser l’image de Barbie en la mettant au premier plan (elle est ici carrément absente), Pixar décide, en un courageux mea culpa, de réinviter celle qui était au départ non seulement l’unique personnage féminin mais aussi le plus faible de tous : Bo la bergère. Au détour d’une scène d’introduction mouvementée et troublante de photo réalisme (rappelons que le déjà bluffant Toy Story 3 a bien neuf ans !), on comprend que notre brave bergère de porcelaine a été totalement repensée, autant visuellement que psychologiquement. Elle est désormais un jouet fort, bien décidée à ne pas rester sagement au pied de sa lampe, et se révèle carrément badass lorsqu’elle est retrouvée plus tard par Woody, livrée à elle-même dans un parc d’attraction mais tellement heureuse et épanouie de pouvoir ainsi jouir de la liberté. Bo ne sera pas le seul jouet féminin de l’aventure et il faudra aussi compter sur la présence de Giggle McDimples, la Polly Pocket qui ne reste pas dans sa boite, mais surtout de la poupée Gabby Gabby.

Cette dernière, personnage rappelant Baby Jane, Norma Desmond de Sunset Boulevard ou bien encore Baby Doll (plus celle de Batman que de Tennessee Williams !), est une poupée qui, privée de sa voix, n’a jamais pu vivre son heure de gloire et connaître les joies d’appartenir à un enfant. Partageant avec Woody (qui a toujours des points communs avec ses opposants…) le statut d’objet de collection, elle est bien décidée à s’emparer de son boîtier vocal pour, enfin, pouvoir attirer l’attention d’une petite fille et partir loin du magasin d’antiquités où elle prend la poussière. Pour la première fois, notre cowboy de chiffon, personnage admirable tant il compose avec ses qualités et ses défauts (qui bien souvent sont les mêmes…) pour continuer de mûrir avec la même exigence morale, même au bout de quatre épisodes, va au bout de son altruisme légendaire et refuse d’abandonner cette « méchante » en accédant à sa requête et en l’accompagnant dans l’accomplissement de son ludique destin. Finalement, elle n’est qu’un jouet névrosé de plus face à l’obsolescence programmée des rêves des enfants et là a toujours été la vocation de notre shérif : guider ces pauvres âmes dans cette existence pénible mais qui, par les joies fugaces qu’elle procure, mérite largement d’être vécue.

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Égal à lui-même, le shérif Woody guide le nouveau venu Fourchette dans l’obscurité.

Vous l’aurez compris, si les plus jeunes y verront sûrement une joyeuse aventure aussi chatoyante que trépidante, Toy Story 4, à l’image de son prédécesseur, est également un film autrement plus sombre. Cela transparaît ici carrément à l’image, que ce soit par l’orage menaçant de la scène d’ouverture, la ballade nocturne au bord d’une route de forêt mais surtout par le décor central du film, le magasin d’antiquités qui confère une ambiance lugubre à l’ensemble. Aussi, les pantins de Baby Doll et leurs glaçantes démarches n’ont rien à envier à une Annabelle 12 et devraient compter parmi les plus belles visions d’épouvante de l’année. Au delà de l’imagerie du genre affectionnée par Pixar, c’est bien le film qui prend souvent une tournure funèbre en s’attachant à suivre toujours plus loin les aventures de nos jouets favoris en repoussant la question de l’après. Une question d’autant plus angoissante que nos héros de plastique ont comme paradoxe d’être potentiellement immortels alors que leurs existences même sont assujetties à une période aussi fugace que l’enfance. Heureusement, les gars de Pixar ne sont pas genre à plomber l’ambiance plus qu’il n’en faut et nous montrent, via le personnage de Bo, que, si nos héros restent des jouets liés au bonheur des plus jeunes (désolé pour ceux qui s’attendaient à voir apparaître les jouets de maman…), ils peuvent aussi s’affranchir de leurs propriétaires et devenir libres. Perso, l’aspect crépusculaire du film fait que cette question continuera à me hanter : Woody mourra-t-il un jour ?

Quoi qu’il en soit, passons sur ces sinistres considérations car, s’il y a bien une chose dont on peut être sûr, c’est que ces jouets sont vivants ! Comme s’il s’agissait encore de le prouver, un nouveau savoureux personnage fait donc son apparition : Fourchette (ou Forky en version originale). Rappelant évidemment Frankenstein, à l’instar des créatures bricolées de Sid dans le premier volet, on assiste ici carrément à la naissance de ce jouet « homemade », prenant vie entre les mains pas forcément experte de la petite Bonnie. Tremblotant, bancal, grotesque, Fourchette se voit avant tout comme un déchet et Woody doit à nouveau faire face à un conditionnement tenace comme ce fût jadis le cas pour Buzz l’Éclair, quoique ce dernier doive encore une fois lutter contre sa nature fictive en affrontant cette fois-ci sa « voix intérieur ». Alors les plus pessimistes diront peut-être qu’en tant qu’objets, nos héros sont condamnés à devenir des déchets et que le conditionnement est du côté de Woody et de sa foi aveugle en son statut de jouet, mais ça serait trop vite oublié que Fourchette est bel et bien en vie là où les autres couverts demeurent inanimés. Abordant ainsi frontalement l’anthropomorphisme, véritable pilier créatif pour le studio, cette magie consistant à insuffler par le mouvement de la vie à des objets inertes, difficile de ne pas voir en Toy Story 4 une vibrante profession de foi de Pixar, jusque dans un ultime clin d’œil de Fourchette…

S’il ne restera certainement pas comme l’épisode le plus novateur, c’est que Toy Story 4 n’hésite pas au contraire à réinvestir les thématiques chères à la saga pour tenter de les pousser encore davantage dans leurs retranchements. Par son inspiration toujours aussi fertile, son sens du rythme tout simplement parfait et sa volonté de ne jamais rabaisser sa création à une simple franchise et ses spectateurs à des consommateurs, ce pari fou est relevé haut la main. Alors que Woody décide finalement de confier son étoile de shérif à son amie Jessie, Toy Story 4 s’impose comme un beau film sur la transmission, à l’heure où Pixar connaît de tels bouleversements. Si ce quatrième épisode nous rejoue les adieux, c’est que la saga a toujours traité de l’éphémère et du temps qui passe, voire même, à la manière de Spielberg sur E.T., du deuil. Vingt-cinq plus tard, on continue d’en sortir grandi, le sourire aux lèvres et les larmes aux yeux, avec une même certitude, on est encore prêts à les suivre, vers l’infini… et au-delà !!!

CLÉMENT MARIE

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« I’m NOT a poor lonesome cowboy… »
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