Biopic britannique, américain, canadien (2019) de Dexter Fletcher, avec Taron Egerton, Jamie Bell, Richard Madden, Bryce Dallas Howard, Gemma Jones, Steven Mackintosh, Tom Bennett, Charlie Rowe et Stephen Graham – 2h01
Montrant un don précoce pour le piano, le jeune Reginald Dwight devient Elton John, rencontre son fidèle parolier Bernie Taupin et accède au rang de rockstar dans les années 1970, avec tous les excès que cela implique…
Après le carton, inespéré ou désespérant, de Bohemian Rhapsody, le biopic musical a de nouveau le vent en poupe et, même s’il ne sort que quelques mois plus tard, Rocketman pourrait déjà sembler opportuniste. Même s’il entretient des liens étroits avec le biopic de Freddie Mercury, il n’en est pourtant rien puisque Elton John envisageait de raconter sa propre vie dans un film dès le début des années 2010 et en confiait le scénario à Lee Hall, scénariste de Billy Elliot, le film préféré du chanteur. Alors que le film sur Queen était encore redouté comme un désastre, Elton faisait un caméo dans Kingsman : le cercle d’or et y recrutait son producteur, Matthew Vaughn, et son acteur, Taron Egerton. Le réalisateur Dexter Fletcher complète la bande de potes, ayant travaillé avec Vaughn et Egerton sur Eddie the Eagle et venant de se barrer de… Bohemian Rhapsody ! Il se console donc avec Rocketman avant de rempiler sans rancune sur Bohemian Rhapsody quand il a fallu remplacer Bryan Singer sur les dernières semaines de production. Malheureusement, son Rocketman devrait beaucoup moins marcher que le machin qu’il a rafistolé en urgence, alors qu’il ne fait aucun doute, en entrant dans la salle, qu’il ne peut être que mieux !
Donc, pour ce qui est de la compète entre Bohemian Rhapsody et Rocketman, vous l’aurez compris, le second la remporte haut la main, se révélant bien supérieur sur tous les points que les deux films ont en commun, et en particulier sur le traitement de l’homosexualité, embarrassante et problématique chez Mercury, évidente et naturelle chez Elton. La supervision des artistes encore en vie y est aussi beaucoup moins agaçante : les membres restants de Queen avaient imposé une censure insupportable sur Bohemian Rhapsody qui pesait beaucoup dans l’échec final, alors que du contrôle d’Elton, on ne regrette qu’un manichéisme faisant passer la star et son parolier pour de gentils agneaux corrompus par leur entourage cupide et égoïste. Dexter Fletcher a surtout la bonne idée de traiter Rocketman davantage comme une comédie musicale que comme une biographie, les morceaux d’Elton (dont on avait oublié qu’il y en avait de vraiment excellents comme Goodbye Yellow Brick Road !) venant alimenter le récit en divers numéros musicaux plutôt que de suivre scrupuleusement l’ordre discographique de l’artiste. Si ce parti-pris ne suffit pas à éviter les pièges hagiographiques ni à à sortir du ronron du biopic (enfance malheureuse, succès foudroyant, dangereux excès, sobre rédemption), il permet au moins de rendre hommage à l’excentricité de son modèle et de traiter ouvertement Elton John comme un personnage à part entière, sans avoir à dissimuler maladroitement d’inévitables arrangements avec la réalité.

Dans le rôle du pianiste, Taron Egerton est excellent, ne forçant pas sa ressemblance avec Elton (une cinquantaine de paires de lunettes et un trait noir entre les deux dents de devant suffisent, ce qui est moins handicapant que les chicots de cheval de Rami Malek…) et ayant le mérite non négligeable de chanter lui-même. La justesse de l’acteur fait pardonner les grosses ficelles (les séquences à la cure de désintox où le costume s’enlève progressivement pour révéler celui qui le porte) et illumine des séquences banales (comme l’entrevue bouleversante avec son père). Et Rocketman de dresser le portrait émouvant d’un artiste qui, à défaut de trouver l’amour qu’il cherche désespérément chez les autres, apprendra au moins à s’aimer lui-même et, au terme d’un calvaire (le sieur était tout de même alcoolique, toxicomane et boulimique !) que son don de mélodiste rend plus léger, de s’assumer comme une popstar plutôt que rockstar. Dynamique, touchant et joyeusement fantaisiste, Rocketman est donc, si ce n’est un grand biopic, au moins parfaitement à l’image de son personnage.
BASTIEN MARIE