Grâce à Dieu

2180797Drame français, belge (2019) de François Ozon, avec Melvil Poupaud, Denis Ménochet, Swann Arlaud, Eric Caravaca, François Marthouret, Bernard Verley, Josiane Balasko, Martine Erhel, Hélène Vincent et Frédéric Pierrot – 2h17

A Lyon, Alexandre découvre par hasard que le prêtre qui a abusé de lui aux scouts officie toujours auprès d’enfants. Il se lance alors dans un combat, très vite rejoint par François et Emmanuel, également victimes du prêtre, pour libérer leur parole sur ce qu’ils ont subi…

Grâce à Dieu traitant d’une affaire judiciaire encore en cours, c’est dans le plus grand secret que François Ozon l’a tourné. Il avait envisagé d’en faire un documentaire mais les fondateurs de l’association « La Parole libérée », fatigués par la couverture médiatique, ne tenaient plus à apparaître à visages découverts et se sont contentés de nourrir le scénario de leurs documentations et d’inspirer les acteurs qui les incarnent, Melvil Poupaud, Denis Ménochet et Swann Arlaud. Pour ne pas ébruiter le sujet de son film, Ozon l’a tourné loin de Lyon pour la majeure partie, allant dans des églises de Belgique, du Luxembourg et de la région parisienne auxquelles il donnait un faux scénario pour obtenir les autorisations de tournage. Quant à Lyon, où il a terminé la production en quelques jours pour les extérieurs, on a renommé le film sous le titre bidon d' »Alexandre » pour éloigner les curieux.

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Loin de Lyon, François Ozon, Melvil Poupaud et Bernard Verley discutent sur un tournage moins tendu que le sujet du film.

Des astuces filoutes qui se sont avérées nécessaires puisque, à peine son Grand Prix à Berlin en poche, Grâce à Dieu s’est vu attaqué, à quelques jours de sa sortie, par les avocats du cardinal Barbarin qui ont voulu suspendre son exploitation jusqu’à la fin du procès. Mais la justice française a autorisé la sortie du film car, bien qu’Ozon utilise les vrais noms des personnes impliquées dans l’affaire, il rappelle également leur présomption d’innocence. Et dans le cas du père Preynat, le film ne lui porte pas vraiment préjudice dans la mesure où il a toujours plaidé coupable pour les accusations qui lui sont reprochées. Pas besoin d’un master de droit pour se rendre compte que Grâce à Dieu est réglo donc, et la polémique n’a été que de courte durée une fois le film révélé au public tant il est clair qu’Ozon tient moins à désigner des coupables qu’à recueillir la parole des victimes.

Grâce à Dieu n’est donc pas du tout anticlérical. Le personnage de Melvil Poupaud à lui seul, encore fervent croyant malgré son traumatisme, témoigne de cette évidence. Le film ne s’intéresse qu’à l’affaire Preynat et au silence de Barbarin sans vouloir en faire une généralité, ne critique de l’église catholique que sa hiérarchie rigide qui a aidé à passer l’affaire sous silence et sa doctrine bien incapable de punir ses représentants, et ne donne pas dans la crise de foi sinon à l’occasion d’une interrogation finale. Grâce à Dieu préfère observer patiemment la parole des victimes se libérer au terme d’une trentaine d’années de silence. Et il le fait par le biais d’une structure, divisée entre ses trois protagonistes, qui lui permet d’éviter les pièges qui lui pendaient au nez (celui du film-dossier, souvent télévisuel en France, ou du film verbeux, forcément risqué quand on s’intéresse à une association nommée « La Parole libérée »), tout en se renouvelant constamment. En gros, on commence sur le film-dossier (avec le personnage de Melvil Poupaud) revenant sur l’origine de l’affaire de manière très factuelle avec récitations de mails en voix off, puis on poursuit sur l’émancipation de la parole (avec le personnage de Denis Ménochet) s’affranchissant du silence capitonnée des églises pour gagner les réunions d’association et les médias, et on finit par la partie la plus intime (avec le personnage de Swann Arlaud) une fois qu’on est parvenu à mettre des mots sur le traumatisme et la vie brisée.

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Alexandre (Melvil Poupaud), François (Denis Ménochet) et Gilles (Eric Caravaca) bossent à la création de leur association.

Certes, au fil de ses deux heures et quart, Grâce à Dieu est parfois inégal. Adaptant une histoire vraie pour la première fois de sa carrière, François Ozon s’efface un peu derrière son sujet délicat qu’il veut décrire de la manière la plus juste possible, parfois au détriment du rythme. Mais ce sont là de bien menus défauts pour un sujet si important, et puis Grâce à Dieu ménage aussi quelques moments… de grâce. Comme cette séquence où, en rentrant chez lui, le personnage de Swann Arlaud découvre l’affaire : il ne faut rien de plus qu’un plan fixe, splitté par une cloison de l’appartement, et les placements de deux personnages pour que le bouleversement naisse, sans déborder. Dans cette séquence apparaît d’ailleurs le personnage de Josiane Balasko qui, comme bien d’autres dans le film, n’a besoin que de quelques minutes d’apparition à l’écran pour se montrer tout de même riche, complet – la force du non-dit, assurément. Déjà bien écrit (comme souvent chez Ozon), Grâce à Dieu est aussi bien incarné, force essentielle pour porter ces témoignages qui se sont incarnés eux aussi dans des corps de victimes fragiles mais certainement pas faibles. On laissera bien évidemment le temps faire son affaire, mais je sens bien que dans quelques années, Grâce à Dieu sera particulièrement représentatif de son époque où les voix se sont levées pour, espérons-le, ne plus jamais avoir à se taire.

BASTIEN MARIE

Autres films de François Ozon sur le Super Marie Blog : Angel (2007) ; L’Amant double (2017) ; Été 85 (2020)

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