The Favourite Film historique britannique, irlandais, américain (2018) de Yorgos Lanthimos, avec Olivia Colman, Emma Stone, Rachel Weisz, Nicholas Hoult et Joe Alwyn – 2h
Au début du XVIIIème siècle, Abigail Hill rejoint comme servante la cour de la reine Anne et retrouve sa cousine, Lady Sarah. Alors que l’Angleterre est en guerre contre la France, les deux femmes vont s’engager dans une lutte sans merci pour devenir la favorite de la reine…
Après les succès de The Lobster (prix du jury – 2015) et Mise à mort du cerf sacré (prix du scénario – 2017) au festival de Cannes, c’est à Venise que le cinéaste grec Yorgos Lanthimos a amené son cinquième long-métrage, La Favorite, avec encore plus de succès puisque Guillermo Del Toro et son jury lui ont décerné deux prix : la grand pour le film et la Coupe Volpi de la meilleure actrice pour Olivia Colman. Tout sourit donc à Lanthimos, même pour ce qui semble être un film de commande car c’est le premier dont il n’a pas signé lui-même le scénario. On le doit à Deborah Davis et Tony McNamara pour un petit projet de la société Element Pictures. L’arrivée du cinéaste a ramené des acquéreurs (Film 4 pour le Royaume Uni et Fox Searchlight pour les Etats-Unis) et un beau casting : outre Emma Stone, Olivia Colman et Rachel Weisz (remplaçant Kate Winslet au pied levé) étaient déjà dans The Lobster. Tourné pour 15 millions de dollars en Angleterre, en lumière naturelle dû à un beau temps inhabituel, La Favorite a rapporté un peu plus de 40 millions de dollars dans le monde et un Oscar de la meilleure actrice aussi surprenant que mérité pour Olivia Colman (qui, pour les fans d’Edgar Wright que nous sommes, restera éternellement la Doris Thatcher de Hot Fuzz).
La reine Anne n’étant pas la plus connue ni la plus importante des monarques anglaises, La Favorite n’a que peu d’intérêt historique, avec sa guerre franco-anglaise laissée là-bas, dans le fond. Mais en faisant se dérouler le film exclusivement dans la cour royale, Yorgos Lanthimos en tire une farce cruelle dans laquelle tous les coups sont permis pour grimper dans l’estime de la reine. Pour cela, le réalisateur peut compter sur son formidable trio d’actrices qui, à elles seules, justifient le coup d’œil. Seule actrice américaine du casting qu’on n’aurait pas imaginée débouler dans un film d’époque british, Emma Stone devient la parfaite petite arriviste dont le joli minois cache les dents les plus longues. Dans le rôle de Lady Sarah, accessoirement ancêtre de Winston Churchill et Lady Diana, Rachel Weisz est également sublime, assumant ses machinations et ses jeux de pouvoir autoritaires qui cachent une affection peut-être bien réelle. Quant à la désormais « Academy Award Winner for Best Actress » Olivia Colman, elle mérite amplement ses nombreux prix car, bien qu’elle ait à peine plus de temps de présence à l’écran que ses partenaires, elle est le cœur esseulé de La Favorite. Encerclée de personnages désirant ses faveurs pour faire passer leurs intérêts, elle est complètement seule puisqu’en vérité, tout ce beau monde hypocrite se fout royalement d’elle. Partie pour jouer le personnage le plus grotesque du film (avec ses maquillages à la truelle et ses sautes d’humeur hystériques), Colman l’amène vers la tragédie en plongeant dans sa dépression carabinée et sa dégradation physique comme une fleur flétrissant par négligence.

Ce virage sombre qu’emprunte son actrice par quelques séquences très inspirées, La Favorite ne le suit pas vraiment, tout occupé qu’il est par sa farce féroce et pas des plus subtiles (avait-on vraiment besoin d’une scène de bal ridicule ou d’un mec à poil bombardé de tomates pour voir où le film voulait en venir ?). Yorgos Lanthimos s’en tient à son petit univers de trafic d’influence et d’humiliations rigolotes qui, s’il n’était pas encore une fois très bien incarné, resterait anecdotique. La Favorite compte d’ailleurs de nombreux plans à très courte focale, avec un effet fish eye se voulant singulier, comme une marque d’auteur, alors qu’il trahit plutôt un film bien renfermé sur lui-même, n’allant pas plus loin que cette bulle dans laquelle il s’est installé. Loin de la facétie d’un Stephen Frears adaptant Les Liaisons dangereuses, Lanthimos rejoint plutôt quelques-uns de ses contemporains qui se regardent filmer et se réjouissent de la cruauté qu’ils réservent à leurs personnages. Par conséquent, La Favorite n’apporte pas grand chose à ses intrigues de cour bien familières et, passées ses quelques qualités, ne ressemble finalement qu’à un film d’auteur démiurgique drapé dans les oripeaux d’un académisme à Oscars dont il fait semblant de se moquer. Le contrat est rempli puisque La Favorite s’est vu récompensé aussi bien à Venise qu’à Hollywood, mais Lanthimos, lui, est surtout sauvé par ses actrices.
BASTIEN MARIE