Le Jeu

3571956Comédie française (2018) de Fred Cavayé, avec Stéphane De Groodt, Bérénice Bejo, Roschdy Zem, Suzanne Clément, Vincent Elbaz, Doria Tillier et Grégory Gadebois – 1h30

Durant un dîner, sept amis décident de jouer à un jeu : chacun place son portable au centre de la table et tout ce qu’ils reçoivent doit être partagé avec les autres. Amusant, au début…

Attention, si vous n’avez pas vu le film, vous devriez vous en tenir aux deux premiers paragraphes de la bafouille qui suit. Le troisième paragraphe en revanche spoile sans vergogne ! Merci de votre compréhension.

Au départ du Jeu, il y a un succès du cinéma italien ayant trouvé un concept, il faut bien l’avouer, infaillible : le contenu du portable de chacun est mis au grand jour, ainsi que les secrets qui vont avec. Le film a fait l’objet d’un remake espagnol, mis en scène par Alex de la Iglesia. Malheureusement, l’annonce d’un remake français a tué nos espoirs de voir un jour la version du réalisateur d’El Bar, lui qui a déjà assez de mal à sortir ses films dans nos salles. Cela dit, Le Jeu bleu-blanc-rouge n’est heureusement pas tombé dans les mains du premier comique venu, mais dans celles de Fred Cavayé, auteur des très bons films d’action Pour elle et A bout portant. Certes, le sieur a depuis fait de piges pour Dany Boon (Radin), histoire peut-être de gagner la confiance de producteurs en étant à la tête d’un grand succès. Une sortie de route d’autant plus regrettable que Le Jeu représentait pour Cavayé une bien meilleure porte d’entrée vers la comédie populaire… et puis surtout un bien meilleur film !

Ce n’est pas tous les jours qu’on souhaite voir une comédie française cartonner au box-office, alors disons-le d’emblée : j’espère que Le Jeu pourra engranger quelques millions d’entrées. Car s’il n’est pas un chef-d’œuvre, il est au moins assez juste, élégant et appliqué pour nous venger de la beauferie habituelle du genre (ou au moins de Radin). Dans un huis-clos dressé avec la même rigueur que ses premiers films (le passage par le thriller se fait clairement ressentir), Cavayé installe autour de la table un beau casting qu’on prend plaisir à voir s’affronter en duels, sans pour autant que les performances des uns éclipsent celles des autres. Si certains acteurs s’en tiennent à ce qu’ils savent faire et le font très bien (Vincent Elbaz semble jouer le même petit con intenable depuis Le Péril jeune), d’autres saisissent leur chance de briller dans la comédie populaire qui ne leur en avait pas donné l’occasion. Plus habitués au cinéma d’auteur, Suzanne Clément et Grégory Gadebois se prêtent magistralement au jeu, la première en épousé épuisée se jetant dans l’ivresse promise par le dîner entre amis, le second en lucide souffre-douleur du groupe. Aussi, Stéphane De Groodt y trouve enfin son premier bon rôle de cinéma, tirant particulièrement son épingle du jeu le temps d’un émouvant coup de fil de sa fille.

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Thomas (Vincent Elbaz) et Charlotte (Suzanne Clément) tout impatients de se lancer dans le jeu.

Si on parle autant des comédiens, c’est parce que Le Jeu ne parle pas tant de nouvelles technologies néfastes que de bons vieux marivaudages et petits arrangements avec la vérité, trouvant juste dans les smartphones un confortable écrin. Cavayé ne tire donc pas de sa comédie un commentaire futile sur l’air du temps mais plutôt une vision amère sur la fragilité de l’amour et de l’amitié, avec ou sans portable. Le sujet se révèle sans doute plus paroxystique et audacieux chez Alex de la Iglesia, maître d’un humour noir et méchant qu’on goûte peu en France, mais Cavayé s’en tire avec les honneurs, n’hésitant pas à aller vers une noirceur à laquelle les spectateurs ne s’attendraient peut-être pas (je sais en tous cas que dans la salle comble où j’ai vu le film, les rires se faisaient de plus en plus nerveux). Une éclipse apporte un semblant d’étrangeté qui justifie un retournement de situation par lequel on apprend que le jeu n’aurait pas eu lieu. Au départ, on pourrait se dire que Le Jeu joue la prudence, voulant rappeler qu’il est bien une comédie. Mais il conforte aussi ses personnages dans leur petit monde de mensonges et de non-dits cimentant leur amitié. Finalement pas si maladroit, ce twist permet donc à Cavayé de laisser le jugement à son spectateur et de laisser planer sur Le Jeu une ambiguïté peu commune dans le genre et sans doute plus mémorable encore que les rires qu’il nous aura procurés.

BASTIEN MARIE

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