Film social britannique (1985) de Stephen Frears, avec Gordon Warnecke, Daniel Day-Lewis, Saeed Jaffrey, Roshan Seth, Charu Bala Chokshi et Rita Wolf – 1h37
A Londres, le jeune pakistanais Omar obtient de son oncle la gestion d’un lavomatic délabré. Il s’associe avec son ami d’enfance et bientôt amant, Johnny, pour retaper l’endroit…
La vision récente de Phantom Thread m’a donné envie de remonter dans le temps où Daniel Day-Lewis n’était pas encore un monstre sacré du cinéma avec trois Oscars et avait encore l’avenir devant lui autre que la retraite anticipée. J’avais le choix entre les deux films qui l’ont révélé, My Beautiful Laundrette de Stephen Frears et Chambre avec vue de James Ivory. Les deux films sont sortis le même jour aux Etats-Unis, ce qui a aidé les critiques outre-Atlantique à reconnaître immédiatement le talent d’un acteur aussi à l’aise dans les fringues d’un jeune punk gay que dans les habits d’un aristo snobinard. James Ivory n’étant pas ma tasse de thé alors que j’adore High Fidelity, j’ai préféré opter pour le punk de My Beautiful Laundrette, film qui n’a pas révélé que Day-Lewis. Derrière la caméra, Stephen Frears sortait enfin de ses années télé (littéralement, puisque c’était un téléfilm gonflé pour les salles de cinéma) avec un succès, couronné d’une nomination aux Oscars, qui l’amènera à réaliser des films plus ambitieux comme Les Liaisons dangereuses, Les Arnaqueurs et Héros malgré lui. Et le film est aussi la toute première production de Tim Bevan et de sa boîte Working Title, cette dernière devenant bientôt la Reine d’Angleterre du cinoche, derrière toutes les comédies romantiques british et les films de réalisateurs tels que Frears donc, mais aussi Paul Greengrass, Joe Wright, Edgar Wright ou les frères Coen.
En revanche, Tim Bevan ne compte pas Ken Loach dans son écurie alors que My Beautiful Laundrette contribue à populariser le film social, la spécialité du réalisateur doublement palmé de Moi, Daniel Blake. Le film de Stephen Frears, qui aurait donc pu aussi bien être un des meilleurs films de Loach, est d’ailleurs l’un des premiers à chambrer Margaret Thatcher, surplombant le film comme une sorte de déesse de la précarité. Je dis ça car My Beautiful Laundrette a une forme, si ce n’est de tragédie grecque, au moins de pièce de théâtre. Les personnages, ressemblant parfois à des chœurs comme le gang de Johnny par exemple, valse autour de quelques décors, parmi lesquels le fameux lavomatic kitsch, improbable symbole d’élévation sociale. Le drame étant que cette ronde de personnages n’harmonise pas les communautés en une seule, mais au contraire attise les conflits et les intérêts personnels. L’écriture du film ne se suffit pas de son seul réalisme mais le traite avec une dramaturgie soignée, qui apporte beaucoup de fraîcheur à un cinéma social souvent enferré dans sa propre noirceur. Et adopter ce point de vue original deviendra aussi la spécialité d’un Frears très éclectique par la suite.

Noir, My Beautiful Laundrette l’est pourtant, plongeant dans une classe populaire bouffée par l’individualisme et l’intolérance. Chaque personnage y trouve une bonne raison de s’allier ou de s’opposer (ou les deux) à un autre, sans parler des triangles amoureux du film. Comme le laissait présager l’urgence de la séquence d’ouverture où Johnny se fait déloger d’un squat (avant qu’il ne déloge d’autres personnes à son tour), le film ne tient jamais en place, trouvant toujours un personnage à retourner, un moyen de corrompre ce petit rêve de lavomatic de quartier. Ce dynamisme comble la facture télévisuelle que My Beautiful Laundrette peinerait à dissimuler (petites sautes de montage, cadre étriqué, photo terne). Et le Day dans tout ça ? Bah oui, il bouffait déjà l’écran (ce qui est plus simple dans un film destiné à la petite lucarne) avec sa teinture blonde peroxydée et son blouson de punk ex-néonazi. Son charisme évident et sa performance nuancée apporte beaucoup d’épaisseur et de mystère à ce mec de la rue qui finira par être sans doute le personnage le plus tiraillé du film. On reconnaît donc déjà le talent du futur grand acteur mais on regrette aussi un peu la spontanéité du jeune acteur pas encore acquis aux rigueurs de la Méthode.
BASTIEN MARIE
Autre film de Stephen Frears sur le Super Marie Blog : The Lost King (2022)