Film fantastique américain, espagnol (2016) de Nacho Vigalondo, avec Anne Hathaway, Jason Sudeikis, Dan Stevens, Austin Stowell et Tim Blake Nelson – 1h49
Larguée par son petit copain new-yorkais, Gloria est forcée de retourner dans sa ville natale où un ami d’enfance, Oscar, lui offre un job dans son bar. Au même moment, une créature gigantesque détruit Séoul, et Gloria découvre que ses actes sont étrangement connectés à ceux de la bête colossale…
Spécialiste des films high concept, l’espagnol Nacho Vigalondo avait frappé très fort avec son premier film, Timecrimes (2007), dont les paradoxes temporels avaient retourné les spectateurs. Tout aussi inventive, la suite de sa carrière n’a pas connu le même succès, que ce soit Extraterrestre (2011), dans lequel une invasion alien est vue de l’appartement d’un jeune couple, ou Open Window (2014), première tentative américaine avec Elijah Wood et Sasha Grey dont le concept (un thriller raconté sur un écran d’ordinateur) a été balayé par Unfriended beaucoup mieux distribué. Avec Colossal, Vigalondo avait donc vu ses ambitions à la baisse pour un projet qui devait rester espagnol. Sauf que le script s’est trouvé entre les mains d’une Anne Hathaway tout juste oscarisée, et que le coup de cœur de l’actrice a propulsé le projet, qui n’était donc plus que celui d’un espagnol moustachu (pour citer Vigalondo)…
Fidèle à l’esprit high concept du réalisateur, Colossal se dédie à l’idée, aussi audacieuse que casse-gueule, de marier romcom et kaiju eiga, chaque genre se déroulant de l’autre côté de la planète ! Ça ne manque pas de charme ni d’ambition, et Vigalondo s’y atèle avec une écriture patiente, méticuleuse : une brève apparition inaugurale du monstre précède le retour de Gloria à sa ville natale et ses retrouvailles avec Oscar. L’intimité américaine et l’apocalypse coréen se lient progressivement, non sans humour : le monstre imitant la gestuelle éthylique de Gloria provoque d’abord l’hilarité. Mais sans crier gare, Vigalondo se jette dans un drame intimiste, dont la repentance de l’alcoolisme n’est qu’une première étape. Du jeu des proportions, le réalisateur en tire surtout une douloureuse prise de conscience de leurs responsabilités par les personnages. Ce qui explique une mise en scène mesurée mais appliquée, très gratifiante quand elle laisse l’imagination du spectateur animer le gigantisme du film, et qui laisse aussi beaucoup de place aux acteurs. Ainsi, les séquences de dialogues suffisent à insuffler de l’intensité à Colossal, et Anne Hathaway et Jason Sudeikis n’ont sans doute jamais été aussi bons, s’engageant dans un duel poignant qui aborde aussi de front les violences faites aux femmes.

Colossal parvient donc la plupart du temps à embrasser solidement la noirceur de son propos, les erreurs et la toxicité des personnages prenant les proportions colossales promises par le titre. Le film offre également un discret mais réel commentaire sur le cinéma actuel, notamment sur la performance capture, et sur notre interaction aux images, voulant insuffler humanité et sensibilité au flot de celles-ci. Cependant, les spectateurs les plus intransigeants pourront voir des limites au film de Vigalondo. On ne peut par exemple que regretter une séquence de flash-back fort dispensable (était-elle imposée par les producteurs ?). Les fans transis de kaiju eiga pourraient aussi trouver leur genre de prédilection quelque peu délaissé au rang de faire-valoir, perçu principalement à travers les médias. Toutefois, Colossal reste assez surprenant et riche pour qu’on s’offusque de la confidentialité de sa sortie en vidéo et VOD. Si même la renommée d’une actrice telle qu’Anne Hathaway ne dissipe pas la peur des distributeurs à proposer un concept original et ambitieux en salles… Colossal mérite donc amplement du soutien car en retour, vous verrez, il saura largement récompenser votre curiosité…
BASTIEN MARIE